De ma sérénité tu voudrais le secret,
M’as-tu dit ; et savoir comment à mon visage
Jamais amour ou haine, espérance ou regret,
Ne jette une rougeur qui trahisse au passage
Les orages de l’âme et le bouillonnement
D’un sang fier qui s’indigne ou s’exalte ; et comment
Du repos de mon front, de ma calme présence,
De mon port, de mes yeux que l’on croirait sans pleurs,
De ma lente parole, ou bien de mon silence,
S’exhale une vertu qui charme les douleurs.
Et de ma sagesse
Ta folle jeunesse
Vantant le bienfait
Envie à mon âge
De longs jours d’orage
Le tardif effet.
« Ô ma chérie,
La secrète loi
D’une âme guérie ;
Enseignez-la moi. »
C’est là ta prière
À mes cheveux blancs,
C’est le voeu sincère
De tes dix-huit ans.
Tu crains la tourmente,
Et, de ton destin,
Fille, soeur, amante,
Déjà t’épouvante
L’aube frémissante,
L’orageux matin.
Ton âme qu’agite
Le souffle des dieux,
Ton sein qui palpite,
L’éclair de tes yeux,
Et l’accord qui tremble
Sous tes doigts émus,
Et ta voix qui semble
De mots inconnus
Chercher le mystère,
Ô mon cher trésor !
Tout dit à ta mère
Que, dans son essor,
Déjà ton génie
Au mal s’est heurté,
Et que l’ironie,
L’amère ironie
Navre ta fierté.
Et je voudrais donner à ton âme inquiète
Un conseil, un exemple ; et, m’offrant pour appui,
Répandre dans ton sein cette vertu secrète
Par qui lui soit rendu le repos qui l’a fui.
Mais, en sondant, hélas ! et mon coeur et ma vie,
Je vois trop à quel prix le trouble m’est ôté,
Et d’où me vient la paix que ta jeunesse envie !...
Que Dieu te garde, enfant, de ma sérénité !