La mer baigne la Saintonge
Je me baigne dans la mer
Juste aux lieux où se prolonge
Du fleuve aux Gascons si cher
L’onde jaunâtre en flot vert
Et l’eau douce en flot amer.
La côte, gâteau que ronge
Aujourd’hui, demain, hier,
La vague à la faim d’enfer,
S’y creuse en cirques de fer
Qu’un fin sable enferme et longe.
Là, sous jupe avec spencer
Les dames vont au flot clair ;
Mais gêné, le sexe fier
Se costume comme un ver.
Donc, fermant Platon et Blair,
Cuvier, Decandolle et Monge,
Bref tout livre sauf Schiller
Et le chantre de l’Enfer,
Tout le jour comme une éponge,
M’imbibant de sel ou d’air
Pour tonifier ma chair,
J’erre, hume, marche et plonge
Et soigne aussi mon gaster.
Puis, le soir venu, je songe
Quand les phares de l’éther,
Phébé, Vénus, Jupiter,
Des feux tournants de la mer
Éclipsant le rouge éclair
Dorent les flots de Saintonge.
Voilà pour Royan, Messer.
De Lyon, d’Abd-el-Kader,
De Biarritz, de Quimper,
Sache... mais, par Lucifer,
Ce billet sans fin s’allonge !
Coupons court ; assez, très-cher,
Adieu, le reste à l’hiver !
À toi de cœur, sans mensonge.
De Royan, près de la mer
Ce vingt-trois de September.
[Journal intime], 1855