CALME
L’homme est heureux lorsque dans la nature
Il n’est plus rien qui le puisse émouvoir,
Lorsqu’à l’abri du remords qui torture
Il sait dormir sans crainte et sans espoir ;
Lorsqu’attendant le moment qui délivre,
Il peut compter ce qui lui reste à vivre,
Et puis, à la lueur d’un lugubre flambeau,
En chantant composer un livre
Pour épitaphe à son tombeau ?
Il est heureux lorsqu’à sa dernière heure
Il peut ouvrir un œil serein
Sans rencontrer une mère qui pleure,
Un ami qui presse sa main ;
Lorsque, frappé d’un sanglant anathème,
Il n’a pas besoin de pardon,
Et ne laisse après lui ni maîtresse qui l’aime,
Ni d’enfant qui porte son nom.
Alors, dans sa tonnelle où l’homme est mis en mue,
Il trouve un paisible sommeil.
Si parfois jusqu’à lui vient le bruit de la rue,
C’est comme un rayon de soleil
Qui ne peut traverser la nue.
La fraîche haleine du zéphyr
Vient tomber au seuil de sa porte,
La nature est muette et morte,
Et son cœur se ferme au désir.
Alors, il peut fixer le gibet et la roue,
Sans sourciller il peut encor
Voir en passant un enfant qui se joue
Avec sa complainte de mort.
C’est en vain qu’un peuple stupide,
De douleurs et de meurtre avide,
Veut surprendre un geste d’effroi.
Sa face est un marbre impassible,
Son âme une roche insensible,
Et, s’il tremble alors, c’est de froid.
Puis, quand vient le moment, lorsque sa tête roule
Sous le choc du pesant couteau,
Il ne reste plus rien pour amuser la foule
Que le coup d’œil an tombereau,
Et quelque peu de sang qui lentement s’écoule ;
Tout est fini, chacun se tait et part,
Hors une voix qui répète : À Clamart !