LA DANSE MACABRÉ DES FEMMES
LA MORT
Noble Reine de beau corsage,
Gente et joyeuse à l’avenant,
J’ai, de par le Grand Maître, charge
De vous amener maintenant,
Comme chose bien advenant
Cette danse en commencerez :
Faites devoir au rémanent.
Vous qui vivez, ainsi ferez.
LA REINE
Cette danse m’est bien nouvelle,
Et en ai le cœur fort surpris.
Hé Dieu ! quelle dure nouvelle
À gens qui ne l’ont pas appris !
Las ! en la mort tout est compris :
Reine, dame grande et petite
Les plus grands sont les premiers pris.
Contre la mort n’a point de fuite.
LA MORT
Après madame la Duchesse,
Vous viens quérir et pourchasser :
Ne pensez plus à la richesse,
À biens n’à joyaux amasser ;
Il vous faut ennuit trépasser ;
Certes, de votre vie est fait.
C’est foleur de tant embrasser.
L’on n’emporte que le bien fait !
LA DUCHESSE
Je n’ai pas encore trente ans.
Hélas ! à l’heure que commence
À savoir que c’est de bon temps,
La mort vient tollir ma plaisance.
J’ai des amis, argent, chevance,
Soulas, ébats, gens à devis,
Par quoi m’est dure la sentence.
Gens aisés si meurent envis.
LA MORT
Femme nourrie en mignotise
Qui dormez jusques au dîner,
L’on vous chauffe votre chemise.
Il est temps de vous déjeuner.
Vous ne dussiez jamais jeûner,
Car vous êtes trop maigre et vide.
À demain vous viens ajourner :
L’on meurt plus tôt que l’on ne cuide.
LA FEMME MIGNOTTE
Pour Dieu qu’on me voise quérir
Médecin et apothicaire.
Et comment me faut-il mourir :
J’ai mari de si bonne affaire,
Anneaux, rubis, neuf ou dix paires.
Ce morceau-ci m’est bien aigret,
Et se passe tôt vaine gloire.
Femme en ces saulx meurt à regret.
LA MORT
Dites, jeune femme à la cruche,
Renommée bonne chambrière
Répondez au moins quand l’on huche
Sans tenir si rude manière :
Vous n’irez plus à la rivière
Baver au four n’à la fenêtre.
Voici votre journée dernière.
Aussi tôt meurt servant que maître.
LA CHAMBRIÈRE
Quoi ! ma maîtresse m’a promis
Me marier et des biens faire,
Et puis si ai d’autres amis
Qui lui aideront à parfaire.
Hé ! m’en irai-je sans rien faire ?
J’en appell’, car on me fait tort ;
Et quant à moi, ne m’en puis taire,
Peu de gens se louent de la mort.
LA MORT
Ça, pauvre femme de village,
Suivez mon train sans plus tarder,
Plus ne vendrez œufs ni fromage,
Allez votre panier vider.
Si vous avez su bien garder
Pauvreté, patience et perte,
Vous en pourrez bien amender
Chacun trouvera sa desserte.
LA FEMME DE VILLAGE
Je prends la mort vaille que vaille
Bien en gré et en patience ;
Francs archers ont pris ma poulaille
Et ôté toute ma substance.
De pauvres gens âme ne pense,
Entre voisins n’a charité.
Chacun veut avoir grand chevance ;
Nul n’a cure de pauvreté.
LA MORT
Venez près, petite garcette,
Baillez-moi votre bras menu.
Il faut que sur vous la main mette :
Votre dernier jour est venu.
Je n’épargne gros ni menu,
Grand ou petit, ce m’est tout un,
Et prends tant payé, tant tenu.
La mort est commune à chacun.
LA FILLETTE
Las ! ma mère, je suis happée :
Voici la mort qui me transporte.
Pour Dieu qu’on garde ma poupée
Mes cinq pierres, ma belle cotte :
Où elle vient trèstout emporte
Par le pouvoir que Dieu lui donne.
Vieux et jeunes de toute sorte
Tout vient de Dieu, tout y retourne.