PLUME DE POÉSIES
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 Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) Les nompareils

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MessageSujet: Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) Les nompareils   Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) Les nompareils Icon_minitimeLun 15 Aoû - 17:29

LES NOMPAREILS



Gros de gloire et d' honneur, braves et nompareils,
Nous ne voulons jamais paroistre qu' en soleils,
Qu' en foudres, qu' en esclairs, dont les vives lumieres
Ferment de l' envieux les prunelles sorcieres,
Tousjours sur pieds, tousjours au feste des honneurs,
Humbles en pleine vogue, et roides aux malheurs,
Cervelles à ressort, inflexibles courages
Qui jouyssans du calme au milieu des orages
N' abandonnons jamais le timon de la nef.
Ces verdoyants lauriers qui nous cernent le chef
Ont pris plus de racine aux rives de Permesse
Qu' aux champs du thracien, Palas (docte deesse)
Y pretend plus de part que Mars l' advantageux,
Autant fins que hardis, sages que courageux,
Nous joignons dextrement Fabrice avec Camille,
Nestor avec Ajas, Ulisse avec Achile,
Polibe à Scipion, Minerve avecques Mars.
Premier que de tenter les belliqueux hazards
Et de dompter autruy sous nos forces supresmes
L' escolle nous apprint à nous dompter nous mesmes,
Les lettres nous ayans rendus moins violens,
Et reprimé l' ardeur de nos fougueux eslans.

Ces cruels enfans d' ire, ames incendiaires,
Vrais piraustes vivants de flambantes coleres,
Coeurs de chaux, de bitum, flami-vomes dragons,
Qui menacent le ciel et sortent hors des gonds
Pour le bruit d' une mouche, esprits legers, fantasques
Qui n' ayment l' ocean qu' à cause des bourrasques,
Mutins, capricieux, qui pour un poinct d' honneur
Conçeu dedans l' enfer au sein d' une fureur,
Se portent sur le pré, envoyant ces furies,
Leurs ames aux demons et leurs corps aux voiries,
Bref telles gens de sang ne seroient emportez
Du cours impetueux de ces brutalitez
S' ils avoient en naissant les astres favorables,
Et jeunes savouré les fruicts tant desirables
Que donne la science aux esprits curieux
Qui la vont carressant et luy font les doux yeux.
Aussi nous paroissons entre les plus superbes
Comme de grands cyprez aupres de basses herbes,
Rien de bas, rien d' abject, rien qui n' aille sentant
Son coeur masle, nerveux, magnanime et constant,
Qui ne sçait point plier aux revers de fortune,
Ny pincer à la cour d' une voix importune
L' oreille d' un monarque, et moins en un parquet
Mercenaire revendre un sordide caquet.

Il nous importe peu à qui les braves princes
Donnent le gouvernail de leurs riches provinces,
Si l' un pour avoir fait un message amoureux
Est tenu à la cour au rang des bien-heureux,
Si quelque baladin pour prix de ses gambades
Est employé des grands aux grandes ambassades,
Si les farces en cour tiennent lieu de sermons,
Et si une beauté qui (peut estre) aux demons
Aura faict pacte exprez, y sera reverée,
Et comme une deesse a genoux adorée,
Si Christ et Bélial ont chacun leurs autels,
Et si (comme l' encens qu' on donne aux immortels
Qui se dissipe en l' air et jusqu' au ciel ne monte,)
Le domaine des rois s' escoule enfin de conte
À créer dans l' estat quelques jeunes bouffons
Dont les coffres trop pleins enfin jettent les fonds.
Nous ne pouvons aussi d' une face hypocrite
De l' aspergez de cour donner de l' eau beniste,
La table écornifler d' un riche partisan,
Ny trembler le grenot à l' huis d' un courtisan,
Bonneter tout un jour un financier superbe,
Tenir d' un importune le cheval en bonne herbe,
Aux princes aplaudir, flatter leurs passions,
Desguiser en vertus leurs imperfections,
Nous jetter en leur moulle et nos humeurs refondre,
Pour plus naïfvement à leurs vices respondre
Et bailler de la pente à nos coeurs resolus,
Non, nos courages francs, nos desirs absolus
Ne se peuvent restreindre en si petites bornes.
Que si le sort fatal nous heurte de ses cornes
Et permette le ciel que le malheur exprez,
Nous trouve embarassez aux mailles de ses rets:
Tant s' en faut que poltrons trahissans nos merites
Nous voullions reparer par moyens illicites
N' estre honteux débris: c' est lors que plus hardis
Nous prestons le collet aux destins estourdis.

C' est comme font tousjours les genereux, les braves,
Qui esclaves du sort ne sont jamais esclaves,
Que la terre et le ciel conspirent d' un accord
À choquer la vertu, c' est alors que plus fort
Elle bande ses nerfs, pour corps à corps combattre
Dans les lices d' honneur la fortune marastre,
Fortune en ce duel n' a jamais du meilleur,
En vain plaine de sang, de poudre, de sueur
Luitte à bras retroussez, sousleve, tire, pousse,
S' allonge, s' accourcit, et de mainte secousse
Essaye d' esbransler l' immobile vertu.
Quand l' Olimpe sera par le foudre abattu,
Quand tout gonflé d' orgueil le geant Encelade
L' inaccessible ciel prendra par escallade,
Quand la molle ondellette à force de licher
Le Caucase neigeux le fera tres-bucher,
Quand des soüefs zephirs les aleines fecondes
Arracheront des pins les racines profondes,
Et qu' Anthée à ses pieds Hercule foulera,
Fortune de vertu alors triomphera.
Si par fois le destin d' une secousse injuste
Donne le croc-en jambe à quelque ame robuste,
Elle aussi tost sur pieds d' un revers violent
Fait mesurer la terre au destin insolent:
Bref, contre la vertu la volage fortune
Est trop foible de reins, en vain ceste importune


Tire ses coups fourrez, ses traicts impetueux,
Ne font que reboucher contre les vertueux.
Nostre langue n' est point à mesdire occupée,
Nostre plume n' est point dans l' Acheron trempée,
Ny dans le noir venin que le gozier glouton
De Cerbere vomit au portail de Pluton
Pour noircir à jamais le renom des familles,
Et drapper sur l' honneur des innocentes filles,
Nous sommes inspirez d' un plus docte Phoebus,
Car en France voyant pulluler tant d' abus,
Meuz de juste douleur, nos muses courroucées
Aujourd' huy vers le ciel ces plaintes ont poussées.
Si c' est vous, ô grands dieux, si vos divines mains
Daignent regir encor l' empire des humains,
Si l' efficace voix qui engendra feconde
Des entrailles d' un rien la machine du monde
Tient encor les ressorts de ce rond spacieux,
Si ce qu' on fait en terre est decretté aux cieux,
Et si vous ne semblez la marastre cruelle
Qui dénie a son fruict l' abondante mamelle,
Qui le chasse a nourrice, et donne à ses humeurs,
Par un laict estranger des estrangeres moeurs:
D' où vient que tant de mal arrive aux braves hommes?
Et que les beaux esprits en ce siecle où nous sommes
Languissent accablez sous le faix des malheurs,
Tandis que d' un plein saut grimperont aux honneurs
Des blesches qui tiendront la fortune en leur manche,
Petits mignons du ciel, fils de la poulle blanche


À qui Zephir se plaist de baiser les habits,
Pour qui Junon ne pleut que perles et rubis,
Au reste, gens extraicts d' une obscure origine,
Qui n' eussent peu jadis dessus leur bonne mine
Emprunter un teston esphemeres esprits
Qui doivent leur fortune à l' enfant de Cypris.
La France n' a plus rien de sa beauté premiere,
Ce n' est plus qu' un desert, qu' une nuict sans lumiere,
Ce n' est plus qu' un encan, où se vont adjugeant
Les offices à ceux qui ont le plus d' argent,
Une blanque publique, ou l' aveugle fortune
Les billets distribuë, une foire commune,
Un havre ou l' on ne peut entrer qu' avec le vent,
Un jeu d' escarpoulette ou les plus lourds souvent
Atteindront le plus haut, un theatre ou pour rire
Quelque faquin fera le monarque d' empire.
Cette nimphe jadis d' un regard de ses yeux
Eust fait quitter le ciel à la trouppe des dieux,
Son lustre paroissoit sur les nymphes voisines
Comme un mont sourcilleux sur les basses collines,
Si parfaicte elle estoit que toutes nations
Se mouloient au patron de ses perfections,
Ses lys virent les bords des loingtaines provinces,
Aux climats reculez ses magnanimes princes
Porterent l' espouvente, et leurs guerriers exploicts
Publierent par tout la valeur des françois.
Combien de fois ont ils empourpré les campagnes
Du sang des sarrazins? Combien fait de montagnes


Des entassez monceaux de ces chiens enragez?
Combien redifié de temples saccagez?
Combien par le baptesme ont couru aux remedes?
Combien les Godefrois, les Martels, les Tancredes,
Les Charles, les Rolands d' un beau desir portez
Ont laissé de frayeurs à ces peuples domptez?
Mais tout est bien changé, ce n' est plus ceste France
Dont jadis l' univers adoroit la puissance,
Nourrice des vertus, pepiniere des loix,
Et qui de sa beauté charmoit les coeurs des rois.
L' ignorant ne pouvoit aborder ceste belle
Sans fondre à ce soleil la cire de son aisle,
Ceste vierge n' aymoit que les plus vertueux:
S' il y avoit en cour quelque presomptueux
Qui pour dire le mot, porter longue sutane,
Passer un entre-chas, ou faire un vers prophane
Briguast des pensions: ce grippé aussi tost
L' on accusoit d' avoir pissé dessus le rost,
Les pages, les laquais luy donnoient des nazardes,
Et ne servoit alors ce mangeur de lezardes
Sinon d' un jaquemart que ces gens de loisir
Deschiroient de brocards pour se donner plaisir:
Mais la France aujourd' huy si lasche est devenuë
Qu' infame à tous venans elle se prostituë,
Les maistres ny sont pas preferez aux valets,
Des siffleurs d' estourneaux, chicots et triboulets
Seront ses confidents, et ceste abandonnée
Ne rougira jamais de se voir mastinée


Par les limiers d' attache, ô France, helas! Pourquoy
Fais-tu si peu de cas et de nous et de toy?
Quand te resoudras-tu de r' entrer en toy-mesme?
Voy-tu pas que ton mal est tantost à l' extresme?
Tant de loups affamez, tant d' inventeurs d' imposts
Qui devorent ta chair et te rongent les os
Te reduiront en fin en si pauvre équipage
Qu' à peine on te pourra recognoistre au visage.
Ta noblesse n' a plus d' amour pour la vertu,
Esclatter en clinquant, gorrierement vestu,
Piaffer en un bal, gausser, dire sornettes,
Se faire chicaner tous les jours pour ses debtes,
Sçavoir guarir la galle à quelques chiens courans,
Mener levrette en lesse, assommer paysans,
Gourmetter un cheval, monter un mors de bride,
Lire Ronsard, le bembe, et les amours d' Armide,
Dire chouse pour chose, et courtez pour courtois,
Paresse pour parroisse, et francez pour françois,
Estre tousjours botté, en casaque, en roupille,
Battre du pied la terre en roussin qu' on estrille,
Marcher en Domp Rodrigue, et sous gorge rouller
Quelques airs de guedron, mentir, dissimuler,
Faire du Simonnet à la porte du Louvre,
Sont les perfections dont aujourd' huy se couvre
La noblesse françoise, exemptant toutesfois
Ceux qui versent leur sang au service des rois:
Puis il nous est permis d' user de sinedoche,
Quand à ces financiers de qui la griffe croche


Ravit nostre substance, et de qui les boyaux,
Creveront engraissez dans les deniers royaux,
Ce ne sont que veaux d' or, guenuches reparées,
Des idoles d' argent par les foux adorées,
Ce sont oyseaux de proye aux ongles ravissans,
Des gouffres qui jamais ne s' iront emplissans,
Des abismes profonds, des gloutonnes harpies
Qui plus mangent nos chairs moins en sont assouvies.
Pour le peuple grossier, bien qu' il n' en puisse plus,
Qu' il soit taillé, sallé, et ses membres perclus,
Qu' il semble en sa misere un pauvre Promethée
Dont l' entraille renaist pour estre becquetée
Et servir de pasture aux affamez vautours:
L' insolent toutesfois se laisse aller au cours
De ses desbordemens, il poste à toute bride
Où son desir aveugle aveuglement le guide,
Et s' accoustume esclave à porter son fardeau:
Le dez, le cabaret, la paume, et le bordeau
Sont ses quatre elements, ses vertus cardinalles,
Ses joustes, ses tournois, ses lettres liberalles,
Son cirque, et son lycée: arriere les vertus
Ce ne sont que des sots qui en sont revestus,
Ô fols escervelez! Jeunesse corrompuë!
Helas, si tu voyois la vertu toute nuë
Combien l' aymerois-tu? Tes esprits enchantez
Voudroient mourir aux pieds de si chastes beautez.
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Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) Les nompareils
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