PLUME DE POÉSIES
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 Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) L'escuelle

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MessageSujet: Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) L'escuelle   Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) L'escuelle Icon_minitimeLun 15 Aoû - 17:36

L'ESCUELLE



Qui loge l' amour dans son ame
Souspire l' amoureuse flame,
Qui voudra d' un ton spandéen
Le cothurne sophocléen
Faire haut retentir et bruire
Roidisse les nerfs de sa lire,
Et que par ses nombreuses loix
Il trace les gestes des roys,
Qui est guerrier, guerrier entonne
Le sang, la mort, Mars et Bellonne.
Pour moy d' un autre air agité,
Je chanteray la dignité
De l' escuelle large et profonde,
Et publieray par tout le monde
Son antiquité, ses splendeurs,
Miracles, vertus et candeurs,
Emaillant de couleurs si vives


Ses loüables prerogatives
Qu' elle excellera dans ces vers
Tous les tresors de l' univers.
Escuelle friande et suave,
Escuelle convexe et concave
Faite sur le patron des cieux,
Car tous ces orbes radieux
Ou reluisent tant de chandelles
Ne sont qu' une pile d' escuelles
L' une dans l' autre s' enchassant,
Pour quoy ne dit-on le croissant
En sa rondeur orbiculaire
Et l' astre qui le jour esclaire
Sembler deux escuelles de bois
Puis que le resveur abderois
La forme d' un sabot leur baille?
Examinons son antiquaille,
Aussi tost qu' Adam eut peché
Et ses triquebilles caché,
Son premier et plus riche ouvrage
Fut l' escuelle a manger potage,
Aussi nos patriarches vieux
Peregrinant en mille lieux
Soubs la juste loy de nature
L' avoient penduë a leur ceinture


Abraham l' eut du bon Lamech
Pour donner à Melchisedec,
Jacob le bien aimé des filles
La donna pleine de lentilles
À son germain au bras velus,
Benjamin eut les sens perclus
Craignant un infame reproche
Alors qu' on trouva dans sa poche
L' escuelle thresor ancien
Du gouverneur egyptien,
(bien que l' interprette infidelle
Ayt tourné tasse pour escuelle.)
Israël au fond des deserts,
Ayant passé les rouges mers
Ne regrettoit que la marmite
Et les escuelles de l' Egipte,
Mais, laissons les cayers sacrez.
Ce grand mangeur de poix sucrez
Denis, tiran de la Sicile,
Chassé de sa natale ville,
Et devenu en ses vieux ans
Un foüetteur de petits enfans,
Fut-il pas reduit à l' escuelle?
Au sac de Megare la belle
Stilpon perdit tous ses thresors


Fors son escuelle aux larges bors,
Bias, et Bion philosophes
En leurs tragiques catastrophes
Et sur le declin de leurs jours
N' avoient qu' en l' escuelle recours,
Le venerable Diogene
Celebre lumiere d' Athene
La sçeut jadis tant loüanger
Qu' il ne l' eust pas voulu changer
À tous les thresors d' Alexandre:
L' eloquent chantre de Cassandre
Homere dont les doctes vers
Ont porté par tout l' univers
Les feux d' Ilion embrazée,
Ne possedoit au bourg d' Ascrée
Et dans tout le terroir gregeois
Qu' une escuelle à manger ses poix.
Aussi l' escuelle que je trace
Est tout le meuble de Parnasse,
C' est la guirlande, l' ornement,
La couronne, le diamant,
La legitime, l' heritage,
Le noble fief, et l' appennage
Des mignons d' Apollon le beau,
Et les vierges du mont-jumeau
Que donnent elles aux poëtes
Leurs truchemens et ss. Prophettes


Apres avoir tant travaillé
Tant rimé et tant rimaillé
Tant composé de poësies,
Chanté de longues elegies
Tant d' odes, et tant de rondeaux,
De triolets, de chants royaux,
De madrigales, d' epigrames,
Et tant refripé d' anagrames?
Bref apres que ces beaux rimeurs
Ont tant courtisé les neuf soeurs,
Tant bruslé d' huyle et de chandelle,
Que remportent ils une escuelle,
Je dy une escuelle de bois,
Les cheveux gris, la goutte aux doigts
La pierre aux reins et la roupie
Au bout du nez toute leur vie:
Car les estats, les dignitez,
La richesse et les qualitez
(comme biens sujects à fortune)
Sont reservez pour la commune,
Les dissimulez, les menteurs,
Les maquereaux et les flateurs
S' en font les plus beaux fils du monde.
Qui sçait bien dompter sa rotonde,
Negliger un peu ses rebras,
Bransler le corps, faire un cinq pas,
Trousser les crocs de sa moustache,


Leurrer l' oyseau, porter pennache,
Mordre en riant, pezer ses mots,
Et dire chouze à tous propos
Il est en France un grand maistre.
Toutesfois on voit disparoistre
Souvent ces comettes de cour,
Ces petits champignons d' un jour
Se flétrissent au premier hâle,
Ce vent incontinent s' exale,
Ces phaëtons ambitieux
Tombent souvent du haut des cieux,
Ces aiglons bastards et farouches
N' osent de leurs prunelles louches
Regarder Phoebus fixement,
En fin ne pouvant longuement
Ces espaules foible et minces
Porter des fortunes des princes
Et remuer si grand fardeaux,
Tels nagueres de leurs cerceaux
Fendoient les sourcilleuses nuës,
De qui les grandeurs parvenuës
Jusques à leur poinct limité
Tombent d' un cours precipité
Comme on voit un esclat de foudre
Les hautes tours reduire en poudre
Ou bien ces orgueilleux torrents
(apres que leurs flots violents


Ont rasté l' honneur des campagnes)
Se precipiter des montagnes,
Et tout à coup dans un escueil
Perdre leurs flots et leur orgueil.
Bref, ceste brigade infidelle
Portera peut-estre l' escuelle
À son rang aussi bien que nous,
L' escuelle est un azile à tous,
C' est le sucre de nostre absinthe,
Le miel de nostre coloquinte,
Le refrigere de nos maux,
Le doux soulas de nos travaux,
La planche et la table seconde
Apres les naufrages du monde,
La derniere ancre des mortels,
Dignes de temples et d' autels.
Aussi je gageray ma vie
(quoy qu' Hesiode autrement die)
Que quand Epimethée ouvrit
Le fatal escrin, d' où sortit
Au val de misere où nous sommes
Tant de desastres sur les hommes:
L' escuelle precieux joyau
Resta seule au fond du vaisseau
De la malheureuse Pandore,
Ou bien, si l' esperance encore


Y demeura, (comme à chanté
Ce grand poëte tant vanté)
Ceste humaine et courtoise fée
Dessous sa cotte dégraffée
Portoit une escuelle de bois:
Sus donc chantons à haute voix
L' escuelle en tout temps secourable,
C' est le domaine inseparable
Et le patrimoine en effet
De tous les enfans de ia-fait:
À l' escuelle tous cabalistes,
Croquans espiegles, rabelistes,
Blesches, fripons, escornifleurs,
Bouffons, charlatans, gaudisseurs,
Basteurs de pavé, tire-laines,
À l' escuelle belles mondaines,
Dariolettes maquereaux,
Infames pilliers de bordeaux,
Courtiers de culs gueux de l' ostiere.
Et vous pelerins de Baviere,
Gentils verolez precieux,
Viendrez vous pas devotieux
Faire à l' escuelle sacrifices,
Apres que tant de chaudepisses
Vous auront vermoulu les reins?
Que les chancres et les poulains
Vous auront pourry la nature,


Et que le penetrant Mercure
Vous aura fait cracher, filer,
Et par la bouche distiler
Le puant limon verolique?
À l' escuelle gens de pratique,
Fesse-cayers rats de palais,
Et vous mignons qui en ballets
En confitures, en pistaches,
En cassolettes, en pennaches,
En poudre de chipre et d' iris,
En estafiers, en favoris,
En festins et en train superbe
Avez mangé vos bleds en herbe,
Venez le reste de vos jours
De l' escuelle implorer secours.
Et vous effroyables phantosmes,
Plus maigres que des Ss Jerosmes
Pauvres plaideurs qui sans repos
Tourmentez vos carcasses d' os
Autour de nos cours justicieres,
Comme la nuict aux cimetieres
Vont raudant maints ombres sans corps
À l' entour des tombeaux des morts:
Qu' esperez-vous, ô Promethées
Apres que vos chairs becquetées
Par tant de carnaciers vautours
Vous ressusciterez tousjours


À nouveaux tourmens et supplices
Apres tant de frais, tant d' espices,
De répits, de sommations,
D' appels, d' anticipations,
D' executoires, de repliques,
De relevemens, de dubliques,
De requestes et de factions.
Et vous porteurs de rogatons,
Mascarades à la douzaine,
Qui d' une miserable veine,
Veine sterile et sans humeur
Portez les vers? Vers, qu' un rimeur
Un poëte de triquenique
Saisi d' une fureur bachique
En ses grimaces va dolant,
Vers rude, flasque, peu coulant,
Insipide et trainant les aisles,
Vers à faire chansons nouvelles,
Des haguignettes, ou rebus
Que jamais n' inspira Phoebus,
Vers qui ne prit onc origine
Que d' une infecte camarine,
Non de ces ondes de cristal
Dont le Pegase pied fatal
Arrouse la double montagne
Et la beotide campagne
Ou le castalide trouppeau


Conduit du delien flambeau
Dances avec les doctes poëtes
Sur le riche émail des fleurettes.
Mais, ou me traine ce discours?
Mon vers en son rapide cours
T' emportoit escuelle plaisante
Que Beatrix la remuante
Ayma jadis plus que ses yeux,
Tu fus son joyau precieux,
Son tout, son amour, ses delices,
Tu luy servois à ton d' offices,
De bust, d' oreiller, de coissin,
De plat, d' assiette, de bassin,
De ventouse pour sa colique,
De fourreure à son ventre etique,
De contenance, de miroir,
De drageoir, d' estuy, d' esventoir,
De mortier, de pot, de marmitte,
De reschaux, et de lichefrite,
De platine pour empezer,
De boucal, de pot à pisser
Puis quand elle estoit trop pressée,
Tu estois sa chaire percée.
Des vers donc thespiades soeurs,
Je ne suis au bout des honneurs
De l' escuelle, vaste fonsuë,


Rezonnant, creuze, bissuë,
Argument plus riche cent fois
Que tous les palladins gregeois,
Escuelle, l' unique esperance
De tous les gueux qui sont en France,
L' azile des banqueroutiers,
Pipeurs de dez et vieux routiers,
La sphere ou l' horoscope on fonde
De toutes les graces du monde:
Car disoit Robin fesse-pain,
Quinze ans pucelle, autant putain,
Quinze ans apres en maquerelle,
Quinze ans encor portant escuelle,
Puis pourrir apres tant de mal,
Sur les degrez d' un hospital,
C' est le destin et l' advanture
Des filles de chaude nature.
Aussi l' escuelle doit tousjours
Estre mise au temple d' amours
Comme precieuse relique,
Puis qu' au plaisant jeu venerique
Le succulent satirion,
Gingembre confit, le pignon,
Ny les genitoires d' un biévre:
D' un cocq, d' un blereau, ny d' un liévre
Les jaunes d' oeufs, les artichaux,
Les cardes, les trufes, les aux,


Les dactes, les oeufs d' escrevices,
Les cantarides, les espices,
N' y les quatre mirobalains
Pour extraire l' huyle des reins
N' ont tant de pouvoir que l' escuelle
Source de chaleur naturelle,
Aussi voit on pas tous les ans
Faire de gros et gras enfans
À ces garces grosses et grasses
Qui les portent dans leurs bezaces
Plus drus que pivoines en mars?
Qui desroüille les braquemars?
Qui rend fecondes nos vestalles,
Si non les souppes clericales?
En l' escuelle est une vertu
Plus forte qu' au pampre tortu,
Ou proprieté vivifique
Comme latente et specifique,
Aussi l' aymant n' attire pas
Si bien le fer par ses appas,
N' y l' ambre la paille ou l' estoupe
Que l' escuelle attire la souppe.
Le coupe-bource, le volleur,
Et le gendarme picoreur
Pardonnent tousjours à l' escuelle,
Elle est en reverence telle


Aux sergeants les plus inhumains,
Qu' ils n' osent y mettre les mains
Et l' estiment chose sacrée,
Aussi est-elle consacrée
Pure victime au dieu Gaster,
Comme le chesne à Jupiter,
L' olive à Pallas desarmée,
Les brayettes à Cytherée,
Le laurier au blond cinthien
Et le verre au bon bromien.
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Jean Auvray (ca. 1580-ca. 1630) L'escuelle
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