Vingt-neuf Janvier
Tristes d'une douleur austère,
Nos combattants, mornes, surpris
Et leurs fronts baissés vers la terre,
Viennent de rentrer dans Paris.
Plus de bataille! Plus de fête!
C'en est fini pour de longs jours,
Et l'on n'entend plus à leur tête
Ni les clairons ni les tambours!
Voici les hommes intrépides
Des bataillons mobilisés,
Ces braves, du péril avides,
Par le hâle déjà bronzés.
Leurs fusils qui déchiraient l'ombre
Avec un flamboyant éclair,
Sont entourés d'un crêpe sombre.
Ils les portent, la crosse en l'air.
Sans que rien désormais les touche,
Ils s'en vont comme des troupeaux;
Un crêpe aussi, noir et farouche,
Entoure les plis des drapeaux.
Puis, ce sont des soldats sans armes,
Spectacle amer et douloureux
Fait pour nous arracher des larmes!
Qui parlent à voix basse entre eux.
Leurs officiers, comme aux parades
Impassibles, marchent au pas;
Et, pensant à leurs camarades
Qui trouvèrent de beaux trépas,
Songent que la part la meilleure
Fut celle de ces combattants.
J'en vois un, déjà vieux, qui pleure,
C'est un Africain du bon temps,
Athlétique et de haute taille,
L'homme de bronze du devoir.
Une large balafre entaille
Son dur visage, presque noir.
Officiers ou soldats, qu'importe!
En leur coeur dédaigneux et fier,
Tous ont une espérance morte
Dont ils portent le deuil amer.
Nos marins surtout, dont l'orage
Connaît si bien les fronts hâlés,
Pâles d'une muette rage,
Sont frémissants et désolés.
Ils promènent leurs regards vagues
Au loin, mornes, presque honteux,
Comme si le gouffre et ses vagues
Venaient de surgir devant eux.
A leur aspect, le coeur se brise.
Car il semble, à les voir ainsi,
Que de loin l'Océan leur dise:
Eh! quoi, matelots, vous aussi!
Et qu'en leur foule résignée,
Où s'amasse un âpre tourment,
La voix de la mer indignée
Se plaigne douloureusement!