Un Chant National, s'il vous plaît
C'est la Chanson, La Marseillaise,
Ivre d'espérance et de jour,
Qui s'élançait de la fournaise,
Vierge, avec son grand cri d'amour!
C'est elle, âme de la Patrie,
Qu'avec leurs grands coeurs ingénus
Suivaient, en leur idolâtrie,
Les jeunes soldats aux pieds nus!
Jeune, dédaigneuse, immortelle,
Effrayant les astres jaloux,
Elle vous touchait de son aile,
Soleils épouvantés, et vous,
Batailles aux profondeurs noires,
Et tenait dans sa forte main
Le groupe effaré des Victoires,
Qu'elle emportait dans son chemin!
Elle marchait, lançant la foudre
Sur les rois d'orgueil enivrés,
Et de nos drapeaux, noirs de poudre,
Elle agitait les plis sacrés.
La grande Chanson, qui s'élance
Dans les airs pour vaincre et punir,
A présent garde le silence,
Les yeux fixés sur l'avenir.
Lorsqu'elle relève sa tête,
On croit entendre, au fond des cieux
Et dans l'horreur de la tempête,
Mugir les clairons furieux,
Et, sous les chênes centenaires,
Va grondant le bruit souverain
Des lourds canons, et les tonnerres
Que font les chariots d'airain.
A ses pieds, docile et farouche
Et caché dans l'ombre à demi,
Tressaille, ouvrant parfois la bouche,
Son courroux, lion endormi,
Et, tranquille, tenant son glaive
Qui reflète un rayon de feu,
Cette Pensée auguste rêve,
Calme et terrible comme un dieu.
Alors, tandis que ses yeux lisent
Au fond de l'azur infini,
Des passants viennent et lui disent:
Guerrière, ton règne est fini.
Oui, nous avons, c'est une affaire,
Des rimes pauvres à placer.
Tu n'es plus rien. Nous allons faire
Une Ode pour te remplacer.
La Déesse, dont la main joue
Avec le glaive aux reflets clairs,
Lève ses beaux yeux et secoue
Son front environné d'éclairs.
Admirant leur pas qui trébuche,
Elle voit le long peloton
Des musiciens en baudruche
Et des poëtes en carton,
Puis Jocrisse, embrassant la lyre
D'un air tendre et virgilien,
Et leur dit avec un sourire:
Faites la Chanson. Je veux bien.