Deux Vieilles Choses.
I Le Poisson Sec.
Parmi la boutique un peu noire,
Reflet morne demi-caché,
Tu n'es, pauvre poisson séché,
Que les lettres de ton histoire.
Te rendrait-on ton coeur amer
Ta vie âpre et dévoratrice,
Quand tu sombrais avec délice
Dans la caresse de la mer;
Te rendrait-on ton doux sillage,
Monarque fluide aux yeux d'or,
Ton rêve assiégeant et sans bord,
Ta vie, étroit et grand voyage,
Quand même entre tes petits os
Tandis que tu gis sur la planche,
On mettrait en poussière blanche
La grande amertume des eaux!. . .
Ce matin, j'ai jeté nos lettres
Dans le feu, neuf et clair frisson. . .
Elle n'a rien dit, la chanson
Qui chantonnait auprès des lettres.
II Loque.
Ta belle âme de ballon. . .
La félicité n'est qu'un songe
Qui s'en va comme un chenapan.
On dirait un peu qu'il y songe,
Lorsque, mélancolique, il pend.
Les heures d'oubli sont rapides:
Ivre et tout vague, l'aquilon
Touche du doigt ses jambes vides.
Le jour est mort, le soir est long.
Le vent sans pitié pour son âge
Mêle ses membres ramollis,
C'est corme un mince personnage
Qui se glisse dans les vieux plis.
Et lui, s'éveillant triste et gauche,
Voudrait rire, malgré son plomb;
Il essaye une vague ébauche. . .
Le jour est mort, le soir est long.
Près d'un habit à longues basques,
Il esquisse en l'air, accroché,
Ses pas incohérents et flasques,
Ce vieux qui sait qu'il a marché.
Le dolman à large carrure
Dont il bat le triple galon
Grince avec un bruit de serrure. . .
Le jour est mort, le soir est long.
Tu danses dans l'or poétique,
Pauvre orateur tenace et laid,
Avec ton destin de boutique
Et tes cauchemars de balai.
Qu'un jeune, auquel rien ne résiste,
Pince la lyre d'Apollon;
Je le regarde d'un air triste.
Le jour est mort, le soir est long.
Nous nous en irons, pauvres princes,
Avec notre tranquillité;
Je te prendrai dans mes bras minces,
Ô le seul qui me soit resté!
Automne gris qui te recueilles,
J'entends gémir dans le vallon
Des souvenirs de vieilles feuilles.
Le jour est mort, le soir est long.