PLUME DE POÉSIES
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 Arthur Rimbaud (1854-1891) Mauvais Sang.

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James
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Arthur Rimbaud (1854-1891) Mauvais Sang. Empty
MessageSujet: Arthur Rimbaud (1854-1891) Mauvais Sang.   Arthur Rimbaud (1854-1891) Mauvais Sang. Icon_minitimeVen 26 Aoû - 0:54

Mauvais Sang.

J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la
maladresse dans la lutte. Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur.
Mais je ne beurre pas ma chevelure.
Les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus
ineptes de leur temps.
D'eux, j'ai: l'idolâtrie et l'amour du sacrilège; Oh! tous les vices, colère,
luxure, magnifique, la luxure; surtout mensonge et paresse.
J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles.
La main à plume vaut la main à charrue. Quel siècle à mains! Je n'aurai jamais
ma main. Après, la domesticité mène trop loin. L'honnêteté de la mendicité me
navre. Les criminels dégoûtent comme des châtrés: moi, je suis intact, et ça
m'est égal.
Mais! qui a fait ma langue perfide tellement qu'elle ait guidé et sauvegardé
jusqu'ici ma paresse? Sans me servir pour vivre même de mon corps, et plus oisif
que le crapaud, j'ai vécu partout. Pas une famille d'Europe que je ne connaisse.
J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des
Droits de l'Homme. J'ai connu chaque fils de famille!

-----

Si j'avais des antécédents à un point quelconque de l'histoire de France!
Mais non, rien.
Il m'est bien évident que j'ai toujours été de race inférieure. Je ne puis
comprendre la révolte. Ma race ne se souleva jamais que pour piller: tels les
loups à la bête qu'ils n'ont pas tuée.
Je me rappelle l'histoire de la France fille aînée de l'Eglise. J'aurai fait,
manant, le voyage de terre sainte, j'ai dans la tête des routes dans les plaines
souabes, des vues de Byzance, des remparts de Solyme; le culte de Marie,
l'attendrissement sur le crucifié s'éveillent en moi parmi les mille féeries
profanes. Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied
d'un mur rongé par le soleil. Plus tard, reître, j'aurais bivaqué sous les nuits
d'Allemagne.
Ah! encore: je danse le sabat dans une rouge clairière, avec des vieilles et des
enfants.
Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme. Je n'en
finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul; sans famille; même,
quelle langue parlais-je? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ; ni
dans les conseils des Seigneurs, représentants du Christ.
Qu'étais-je au siècle dernier: je ne me retrouve qu'aujourd'hui. Plus de
vagabonds, plus de guerres vagues. La race inférieure a tout couvert le peuple,
comme on dit, la raison; la nation et la science.
Oh! la science! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, le viatique, on a
la médecine et la philosophie, les remèdes de bonnes femmes et les chansons
populaires arrangées. Et les divertissements des princes et les jeux qu'ils
interdisaient! Géographie, cosmographie, mécanique, chimie!.
La science, la nouvelle noblesse! Le progrès. Le monde marche! Pourquoi ne
tournerait-il pas?
C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est
oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles
païennes, je voudrais me taire.

-----

Le sang païen revient! L'esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas,
en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas! l'Evangile a passé! l'Evangile!
l'Evangile.
J'attends Dieu avec gourmandise. Je suis de race inférieure de toute éternité.
Me voici sur la plage armoricaine. Que les villes s'allument dans le soir. Ma
journée est faite; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons; les
climats perdus me tanneront. Nager, broyer l'herbe, chasser, fumer surtout;
boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, comme faisaient ces chers
ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon
masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et
brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je
serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un
sommeil bien ivre, sur la grève.

-----

On ne part pas. Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a
poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison qui monte au
ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde
mes dégoûts et mes trahisons.
Allons! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.
A qui me louer? Quelle bête faut-il adorer? Quelle sainte image attaque-t-on?
Quels coeurs briserai-je? Quel mensonge dois-je tenir? Dans quel sans marcher?
Plutôt, se garder de la justice. La vie dure, l'abrutissement simple, soulever,
le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point
de vieillesse, ni de dangers: la terreur n'est pas française.
Ah! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des
élans vers la perfection.
O mon abnégation, ô ma charité merveilleuse! ici-bas, pourtant!
De profundis Domine, suis-je bête!

-----

Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours
le bagne; je visitais les auberges et les garnis qu'il aurait sacrés par son
séjour; je voyais avec son idée le ciel bleu et le travail fleuri de la
campagne; je flairais sa fatalité dans les villes. Il avait plus de force qu'un
saint, plus de bon sens qu'un voyageur et lui, lui seul! pour témoin de sa
gloire et de sa raison.
Sur les routes, par des nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une
voix étreignait mon coeur gelé:
"Faiblesse ou force: te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni où tu vas ni
pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus que si
tu étais cadavre."
Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai
rencontrés ne m'ont peut-être pas vu.
Dans les villes la boue m'apparaissait soudainement rouge et noire, comme une
glace quand la lampe circule dans la chambre voisine, comme un trésor dans la
forêt! Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au
ciel; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de
tonnerres.
Mais l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites. Pas même un
compagnon. Je me voyais devant une foule exaspérée, en face du peloton
d'exécution, pleurant du malheur qu'ils n'aient pu comprendre, et pardonnant!
Comme Jeanne d'Arc! -
"Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai
jamais été de ce peuple-ci; je n'ai jamais été chrétien; je suis de la race qui
chantait dans le supplice; je ne comprends pas les lois; je n'ai pas le sens
moral, je suis une brute: vous trompez."
Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je
puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares.
Marchand, tu es nègre; magistrat, tu es nègre; général, tu es nègre; empereur,
vieille démangeaison, tu es nègre: tu as bu d'une liqueur non taxée, de la
fabrique de Satan. Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et
vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. Le plus
malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces
misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.
Connais-je encore la nature? me connais-je? Plus de mots. J'ensevelis les morts
dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse! Je ne vois même pas
l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.
Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse!

-----

Les blancs débarquent. Le canon! Il faut se soumettre au baptême, s'habiller,
travailler.
J'ai reçu au coeur le coup de la grâce. Ah! je ne l'avais pas prévu!
Je n'ai point fait le mal. Les jours vont m'être légers, le repentir me sera
épargné. Je n'aurai pas eu les tourments de l'âme presque morte au bien, où
remonte la lumière sévère comme les cierges funéraires. Le sort du fils de
famille, cercueil prématuré couvert de limpides larmes. Sans doute la débauche
est bête, le vice est bête; il faut jeter la pourriture à l'écart. Mais
l'horloge ne sera pas arrivée à ne plus sonner que l'heure de la pure douleur!
Vais-je être enlevé comme un enfant, pour jouer au paradis dans l'oubli de tout
le malheur!
Vite! est-il d'autres vies? Le sommeil dans la richesse est impossible. La
richesse a toujours été bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la
science.
Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de bonté.
Adieu chimères, idéals, erreurs.
Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur: c'est l'amour divin.
Deux amours! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement.
J'ai laissé des âmes dont la peine s'accroîtra de mon départ! Vous me choisissez
parmi les naufragés, ceux qui restent sont-ils pas mes amis?
Sauvez-les!
La raison est née. Le monde est bon. je bénirai la vie. J'aimerai mes frères. Ce
ne sont plus des promesses d'enfance. Ni l'espoir d'échapper à la vieillesse et
à la mort. Dieu fait ma force, et je loue Dieu.

-----

L'ennui n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais
tous les élans et les désastres, tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans
vertige l'étendu de mon innocence.
Je ne serais plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me
crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit: Dieu.
Je veux la liberté dans le salut: comment la poursuivre? Les goûts frivoles
m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le
siècle des coeurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité: je retiens
ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
Quant au bonheur établi, domestique ou non. non, je ne peux pas. Je suis trop
dissipé, trop faible. La vie fleurit par le travail, vieille vérité: moi, ma vie
n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce
cher point du monde.
Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort!
Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, comme les anciens
saints. Les saints! des forts! les anachorètes, des artistes comme il n'en faut
plus!
Farce continuelle! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener
par tous.

-----
Assez! voici la punition. En marche!
Ah! les poumons brûlent, les tempes grondent! la nuit roule dans mes yeux, par
ce soleil! le coeur. les membres.
Où va-t-on? au combat? je suis faible! les autres avancent. Les outils, les
armes. le temps!.
Feu! feu sur moi! Là! ou je me rends. Lâches! Je me tue! Je me jette aux pieds
des chevaux!
Ah!.
Je m'y habituerai.
Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur!






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