LE VIEILLARD DU GALÈSE 12
Atque equidem, extremo ni jam sub fine laborum
Vela traham, et terris festinem advertere proram, etc.
(Géorgiques, liv. iV.)
Si mon vaisseau déjà, prêt à toucher les bords,
Vers le but désiré ne tournait ses efforts,
Poète des jardins, je chanterais peut-être
La culture des fleurs et la rose champêtre.
Je décrirais l'acanthe arrondie en berceaux,
L'endive, se gonflant du suc des clairs ruisseaux,
Le myrte, amant des eaux qu'il couvre de son ombre,
Les contours tortueux de l'énorme concombre,
Le narcisse tardif, le persil frais et vert,
Et le lierre rampant dont le chêne est couvert.
Aux plaines du Galèse, où, noire et sablonneuse,
Roule en des champs dorés son onde limoneuse,
Sous les tours d'AEbalie, il fut, je m'en souviens,
Un paisible vieillard, riche de peu de biens.
C'était un lieu désert, aride pâturage,
Funeste aux jeunes ceps, rebelle au labourage ;
Le vieux sage semait, dans ces prés buissonneux,
Des légumes parmi les chardons épineux,
Et croyait, cultivant le lys et la verveine,
Être l'égal des rois dans son humble domaine.
Le soir, à son retour, il goûtait sans ennui
Des mets simples et purs, qu'il ne devait qu'à lui.
Le premier au printemps, le premier en automne,
Il recueillait les dons de Flore et de Pomone ;
LE VIEILLARD DU GALÈSE 39
Et quand le triste hiver, brisant les rocs durcis,
Mettait un frein de glace aux ruisseaux épaissis,
Déjà, taillant le front de l'acanthe encor tendre,
Il hâtait les zéphirs qu'il se lassait d'attendre.
Aussi, sur mille essaims il étendait ses droits,
Des rayons pleins de miel écumaient sous ses doigts ;
Dans l'automne chez lui chaque arbre se colore
D'autant de fruits nouveaux qu'il vit de fleurs éclore.
Il plantait le tilleul près du pin résineux,
Et greffait le prunier sur l'arbuste épineux ;
Chez lui, se soumettant au cordeau qui l'aligne,
Le platane ombrageait les sarments de la vigne ;
Et seul il sut toujours transplanter sans efforts
Des poiriers déjà vieux, des ormeaux déjà forts.
Mais à d'autres sujets il faut que je me livre,
Je laisse un vaste champ à qui voudra me suivre.
V. D'AUVERNEY.
[Le Conservateur littéraire, 19 août 1820.]