III
Comédie dans les feuilles
Au fond du parc qui se délabre,
Vieux, désert, mais encor charmant
Quand la lune, obscur candélabre,
S'allume en son écroulement,
Un moineau-franc, que rien ne gêne,
A son grenier, tout grand ouvert,
Au cinquième étage d'un chêne
Qu'avril vient de repeindre en vert.
Un saule pleureur se hasarde
À gémir sur le doux gazon,
À quelques pas de la mansarde
Où ricane ce polisson.
Ce saule ruisselant se penche ;
Un petit lac est à ses pieds,
Où tous ses rameaux, branche à branche,
Sont correctement copiés.
Tout en visitant sa coquine
Dans le nid par l'aube doré,
L'oiseau rit du saule, et taquine
Ce bon vieux lakiste éploré.
Il crie à toutes les oiselles
Qu'il voit dans les feuilles sautant :
Venez donc voir, mesdemoiselles !
Ce saule a pleuré cet étang.
Il s'abat dans son tintamarre
Sur le lac qu'il ose insulter :
Est-elle bête cette mare !
Elle ne sait que répéter.
Ô mare, tu n'es qu'une ornière.
Tu rabâches ton saule. Allons,
Change donc un peu de manière.
Ces vieux rameaux-là sont très longs.
Ta géorgique n'est pas drôle.
Sous prétexte qu'on est miroir,
Nous faire le matin un saule
Pour nous le refaire le soir !
C'est classique, cela m'assomme.
Je préférerais qu'on se tût.
Çà, ton bon saule est un bonhomme ;
Les saules sont de l'institut.
Je vois d'ici bâiller la truite.
Mare, c'est triste, et je t'en veux
D'être échevelée à la suite
D'un vieux qui n'a plus de cheveux.
Invente-nous donc quelque chose !
Calque, mais avec abandon.
Je suis fille, fais une rose,
Je suis âne, fais un chardon.
Aie une idée, un iris jaune,
Un bleu nénuphar triomphant !
Sapristi ! Il est temps qu'un faune
Fasse à ta naïade un enfant. -
Puis il s'adresse à la linotte :
Vois-tu, ce saule, en ce beau lieu,
A pour état de prendre en note
Le diable à côté du bon Dieu.
De là son deuil. Il est possible
Que tout soit mal, ô ma catin ;
L'oiseau sert à l'homme de cible,
L'homme sert de cible au destin ;
Mais moi, j'aime mieux, sans envie,
Errer de bosquet en bosquet,
Corbleu, que de passer ma vie
À remplir de pleurs un baquet ! -
Le saule à la morne posture,
Noir comme le bois des gibets,
Se tait, et la mère nature
Sourit dans l'ombre aux quolibets
Que jette, à travers les vieux marbres,
Les quinconces, les buis, les eaux,
À cet Héraclite des arbres
Ce Démocrite des oiseaux.
IV
Les enfants lisent, troupe blonde ;
Ils épellent, je les entends ;
Et le maître d'école gronde
Dans la lumière du printemps.
J'aperçois l'école entrouverte ;
Et je rôde au bord des marais ;
Toute la grande saison verte
Frissonne au loin dans les forêts.
Tout rit, tout chante ; c'est la fête
De l'infini que nous voyons ;
La beauté des fleurs semble faite
Avec la candeur des rayons.
J'épelle aussi moi ; je me penche
Sur l'immense livre joyeux ;
Ô champs, quel vers que la pervenche !
Quelle strophe que l'aigle, ô cieux !
Mais, mystère ! Rien n'est sans tache.
Rien ! - Qui peut dire par quels noeuds
La végétation rattache
Le lys chaste au chardon hargneux ?
Tandis que là-bas siffle un merle,
La sarcelle, des roseaux plats,
Sort, ayant au bec une perle ;
Cette perle agonise, hélas !
C'est le poisson qui, tout à l'heure,
Poursuivait l'aragne, courant
Sur sa bleue et vague demeure,
Sinistre monde transparent.
Un coup de fusil dans la haie,
Abois d'un chien ; c'est le chasseur.
Et, pensif, je sens une plaie
Parmi toute cette douceur.
Et, sous l'herbe pressant la fange,
Triste passant de ce beau lieu,
Je songe au mal, énigme étrange,
Faute d'orthographe de Dieu.