L'AVEU DU CHATELAIN
Pource aimez-moy, cependant qu'estes belle.
RONSARD.
Écoute-moi, Madeleine !
L'hiver a quitté la plaine
Qu'hier il glaçait encor.
Viens dans ces bois d'où ma suite
Se retire, au loin conduite
Par les sons errants du cor !
Viens ! on dirait, Madeleine,
Que le Printemps, dont l'haleine
Donne aux roses leurs couleurs,
A cette nuit, pour te plaire,
Secoué sur la bruyère
Sa robe pleine de fleurs !
Si j 'étais, ô Madeleine,
L'agneau dont la blanche laine
Se démêle sous tes doigts !...
Si j'étais l'oiseau qui passe,
Et que poursuit dans l'espace
Un doux appel de ta voix !...
Si j'étais, ô Madeleine,
L'ermite de Tombelaine
Dans son pieux tribunal,
Quand ta bouche à son oreille
De tes péchés de la veille
Livre l'aveu virginal !...
Si j'avais, ô Madeleine,
L'oeil du nocturne phalène,
Lorsqu'au sommeil tu te rends,
Et que son aile indiscrète
De ta cellule secrète
Bat les vitraux transparents ;
Quand ton sein, ô Madeleine,
Sort du corset de baleine,
Libre enfin du velours noir ;
Quand, de peur de te voir nue.
Tu jettes, fille ingénue,
Ta robe sur ton miroir !
Si tu voulais, Madeleine,
Ta demeure serait pleine
De pages et de vassaux ;
Et ton splendide oratoire
Déroberait sous la moire
La pierre de ses arceaux !...
Si tu voulais, Madeleine,
Au lieu de la marjolaine
Qui pare ton chaperon,
Tu porterais la couronne
De comtesse ou de baronne,
Dont la perle est le fleuron !
Si tu voulais, Madeleine,
Je te ferais châtelaine ;
Je suis le comte Roger ;
Quitte pour moi ces chaumières,
À moins que tu ne préfères
Que je me fasse berger !