Nous vivons, debout à l'entrée
De la mort, gouffre illimité,
Nus, tremblants, la chair pénétrée
Du frisson de l'énormité;
Nos morts sont dans cette marée;
Nous entendons, foule égarée
Dont le vent souffle le flambeau,
Sans voir de voiles ni de rames,
Le bruit que font ces vagues d'âmes
Sous la falaise du tombeau.
Nous regardons la noire écume,
L'aspect hideux, le fond bruni;
Nous regardons la nuit, la brume,
L'onde du sépulcre infini;
Comme un oiseau de mer effleure
LA haute rive où gronde et pleure
L'océan plein de Jéhovah,
De temps en temps, blanc et sublime
Par-dessus le mur de l'abîme
Un ange paraît et s'en va.
Quelquefois une plume tombe
De l'aile où l'ange se berçait;
Retourne-t-elle dans la tombe?
Que devient-elle? On ne le sait.
Se mêle-t-elle à notre fange?
Et qu'a donc crié cet archange?
A-t-il dit non? a-t-il dit oui?
Et la foule cherche, accourue,
En bas la plume disparue,
En haut l'archange évanoui!
Puis, après qu'ont fui comme un rêve
Bien des coeurs morts, bien des yeux clos,
Après qu'on a vu sur la grève
Passer des flots, des flots, des flots,
Dans quelque grotte fatidique,
Sous un doigt de feu qui l'indique,
On trouve un homme surhumain
Traçant des lettres enflammées
Sur un livre plein de fumées,
La plume de l'ange à la main!
Il songe, il calcule, il soupire,
Son poing puissant sous son menton;
Et l'homme dit: Je suis Shakspeare.
Et l'homme dit: Je suis Newton.
L'homme dit: Je suis Ptolémée;
Et dans sa grande main fermée
Il tient le globe de la nuit.
L'homme dit: Je suis Zoroastre;
Et son sourcil abrite un astre,
Et sous son crâne un ciel bleuit!