ainsi nous n' avons plus Strasbourg, nous n' avons plus
Metz, la chaste maison des vieux Francs chevelus !
Ces villes, ces cités, déesses crénelées,
ce teuton nous les a tranquillement volées !
Ainsi le Chasseur Noir a ces captives-là !
Ainsi ce cavalier monstrueux, Attila,
horrible, les attache aux arçons de sa selle ;
à l' un pend l' héroïne, à l' autre la pucelle !
Et les voilà, râlant dans le carcan de fer,
Metz où régna Clovis, Strasbourg d' où vint Kléber !
Le vautour a ces monts et ces prés sous son aile !
Et tout cela pourtant, c' est la France éternelle !
C' est à nous, ce Haut-Rhin où la Gaule apparaît !
J' en atteste l' été, le printemps, la forêt,
les astres toujours purs, les roses toujours neuves
et le ruissellement d' émeraudes des fleuves !
J' en atteste l' épi doré, le nid d' oiseau,
et le petit enfant qui, nu dans son berceau,
joue avec son pied rose en attendant la France !
J' en atteste l' oeil bleu de la sainte espérance,
l' honneur, le droit, l' autel où l' on prie à genoux,
cette Lorraine et cette Alsace, c' est à nous !
Là rêva Gutenberg, là se dressa Lothaire ;
ce ciel est notre azur, ce champ est notre terre ;
nous nous sommes laissé prendre ces grands pays !
Nous, France ! En même temps nous sommes envahis
par le prêtre, et flairés par la louve romaine !
Ainsi nous subissons la schlague qui nous mène !
Ainsi nous acceptons sur nous le traînement
du syllabus gothique et du sabre allemand !
Ainsi nous permettons au reître, au bonze, au cuistre,
de reclouer sur nous le grand linceul sinistre,
l' ignorance, l' erreur, le mensonge et la nuit !
Ainsi l' immense aurore aux cieux s' évanouit !
Ainsi, pourvu qu' il ait au poing de l' eau bénite,
pourvu qu' après avoir fui devant le samnite,
il dresse un sombre glaive à la gloire inconnu,
le premier misérable imbécile venu
peut nous crier : paix là, vous tous ! Gare à qui bouge !
Mais nos pères auraient mordu dans du fer rouge !
2 juin 1875.
1870, 06, 06