Socrate est un voyant ; je ne suis qu' un témoin.
Je vais. J' ai laissé tout aux mains du sort rapace,
et j' entends mes amis d' autrefois rire au loin
pendant qu' à l' horizon, seul et pensif, je passe.
Ils disent, me voyant paraître tout à coup :
--qu' est-ce donc que cette ombre au loin sur cette grève ?
Regardez donc là-bas. Cela reste debout.
Est-ce un homme qui marche ? Est-ce un spectre qui rêve ?
C' est l' homme et c' est le spectre ! ô mes anciens amis,
c' est un songeur tourné vers les profondeurs calmes,
qui, devant le tombeau priant pour être admis,
rêve sous la nuée où frissonnent les palmes.
Sachez, amis de l' âge où l' on se comprenait,
que, si je vous parlais, ce serait de vous-même.
Je suis l' être pensif que la douleur connaît ;
mon soir mystérieux touche à l' aube suprême.
Vous qui tournez la tête et qui dites : c' est bien !
Et qui vous remettez à rire à votre porte,
ce que j' endure est peu, ce que je suis n' est rien,
et ce n' est pas à moi que ma souffrance importe ;
mais, quoi que vous fassiez et qui que vous soyez,
quoi donc ! N' avez-vous rien au coeur qui vous déchire ?
N' avez-vous rien perdu de ceux que vous aimiez ?
Qui sait où sont les morts ? Comment pouvez-vous rire ?