Dieu ! Que les monts sont beaux avec ces taches d' ombre !
Que la mer a de grâce et le ciel de clarté !
De mes jours passagers que m' importe le nombre !
Je touche l' infini, je vois l' éternité.
Orages ! Passions ! Taisez-vous dans mon âme !
Jamais si près de Dieu mon coeur n' a pénétré.
Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme,
la vaste mer me parle, et je me sens sacré.
Béni soit qui me hait et béni soit qui m' aime !
à l' amour, à l' esprit donnons tous nos instants.
Fou qui poursuit la gloire ou qui creuse un problème !
Moi, je ne veux qu' aimer, car j' ai si peu de temps !
L' étoile sort des flots où le soleil se noie ;
le nid chante ; la vague à mes pieds retentit ;
dans toute sa splendeur le soleil se déploie.
Mon Dieu, que l' âme est grande et que l' homme est petit !
Tous les objets créés, feu qui luit, mer qui tremble,
ne savent qu' à demi le grand nom du Très-Haut.
Ils jettent vaguement des sons que seul j' assemble ;
chacun dit sa syllabe, et moi je dis le mot.
Ma voix s' élève aux cieux, comme la tienne, abîme !
Mer, je rêve avec toi ! Monts, je prie avec vous !
La nature est l' encens, pur, éternel, sublime ;
moi je suis l' encensoir intelligent et doux.
Passage, 7 août 1843.
1859, 10, 27