Où sont, enfants du Caire,
Ces flottes qui naguère
Emportaient à la guerre
Leurs mille matelots ?
Ces voiles, où sont-elles,
Qu'armaient les infidèles,
Et qui prêtaient leurs ailes
À l'ongle des brûlots ?
Où sont tes mille antennes,
Et tes hunes hautaines,
Et tes fiers capitaines,
Armada du sultan ?
Ta ruine commence,
Toi qui, dans ta démence,
Battais les mers, immense
Comme Léviathan !
Le capitan qui tremble
Voit éclater ensemble
Ces chébecs que rassemble
Alger ou Tetuan.
Le feu vengeur embrasse
Son vaisseau dont la masse
Soulève, quand il passe,
Le fond de l'Océan.
Sur les mers irritées,
Dérivent, démâtées,
Nefs par les nefs heurtées,
Yachts aux mille couleurs,
Galères capitanes,
Caïques et tartanes
Qui portaient aux sultanes
Des têtes et des fleurs !
Adieu, sloops intrépides,
Adieu, jonques rapides,
Qui sur les eaux limpides
Berçaient les icoglans !
Adieu la goélette
Dont la vague reflète
Le flamboyant squelette,
Noir dans les feux sanglants !
Adieu, la barcarolle
Dont l'humble banderole
Autour des vaisseaux vole,
Et qui, peureuse, fuit,
Quand du souffle des brises
Les frégates surprises,
Gonflant leurs voiles grises,
Déferlent à grand bruit !
Adieu, la caravelle
Qu'une voile nouvelle
Aux yeux de loin révèle ;
Adieu, le dogre ailé,
Le brick dont les amures
Rendent de sourds murmures,
Comme un amas d'armures
Par le vent ébranlé.
Adieu, la brigantine
Dont la voile latine
Du flot qui se mutine
Fend les vallons amers !
Adieu, la balancelle
Qui sur l'onde chancelle,
Et, comme une étincelle,
Luit sur l'azur des mers !
Adieu, lougres difformes,
Galéaces énormes,
Vaisseaux de toutes formes,
Vaisseaux de tous climats,
L'yole aux triples flammes,
Les mahonnes, les prames,
La felouque à six rames,
La polacre à deux mâts !
Chaloupes canonnières !
Et lanches marinières
Où flottaient les bannières
Du pacha souverain !
Bombardes que la houle,
Sur son front qui s'écroule,
Soulève, emporte et roule
Avec un bruit d'airain !
Adieu, ces nefs bizarres,
Caraques et gabarres,
Qui de leurs cris barbares
Troublaient Chypre et Délos !
Que sont donc devenues
Ces galères chenues ?
La mer les jette aux nues,
Le ciel les rend aux flots !