PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Paris incendié

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Victor HUGO (1802-1885) Paris incendié Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Paris incendié   Victor HUGO (1802-1885) Paris incendié Icon_minitimeJeu 22 Sep - 1:04

PARIS INCENDIE

Mais où donc ira-t-on dans l'horreur ? et jusqu'où ?
Une voix basse dit : Pourquoi pas ? et Moscou ?

Ah ! ce meurtre effrayant est un meurtre imbécile !
Supprimer l'Agora, le Forum, le Poecile,
La cité qui résume Athènes, Rome et Tyr,
Faire de tout un peuple un immense martyr,
Changer le jour en nuit, changer l'Europe en Chine,
Parce qu'il fut un ours appelé Rostopschine !
Il faut brûler Paris, puisqu'on brûla Moscou !
Parce que la Russie adora son licou,
Parce qu'elle voulut, broyant sa ville en cendre,
Chasser Napoléon pour garder Alexandre,
Parce que cela plut au czar en son divan,
Parce que, l'oeil fixé sur la croix d'or d'Yvan,
Un barbare a sauvé son pays par un crime,
Il faut jeter la France étoilée à l'abîme !
Mais vous par qui les droits du peuple sont trahis,
Vous commettez le crime et perdez le pays !
Ce Rostopschine est grand de la grandeur sauvage ;
La stature qui peut rester à l'esclavage,
Il l'a toute, et cet homme, une torche à la main,
Rentre dans sa patrie et sort du genre humain ;
C'est le vieux Scythe noir, c'est l'antique Gépide ;
Il est féroce, il est sublime, il est stupide ;
On sait ce qu'il a fait, on ne sait s'il comprit ;
Il serait un héros s'il était un esprit.
Les siècles sur leur cime ont quatre sombres flammes ;
L'une où brille altier, vil, roi des gloires infâmes,
Le meurtrier d'Ephèse embouchant son clairon,
L'autre où se dresse Omar, l'autre où chante Néron ;
Rostopschine est comme eux flamboyant dans l'histoire ;
De ces quatre lueurs la sienne est la moins noire.
Mais vous, qui venez-vous copier ?

Vous pencher
Sur Paris ! allumer un cinquième bûcher !
Quoi ! l'on verrait Paris comme la neige fondre !
Quoi ! vous vous méprenez à ce point de confondre
La ville qui nuisait et la ville qui sert !
Moscou fut la Babel sinistre du désert,
L'antre où la raison boite, où la vérité louche,
Citadelle du moine et du boyard, farouche
Au point que nul progrès ne put habiter là,
Nid d'éperviers d'où Pierre, un vautour, s'envola.
Moscou c'était l'Asie et Paris c'est l'Europe.
Quoi ! du même linceul inepte on enveloppe
Et dans la même tombe on veut faire tenir
Moscou, le passé triste, et Paris, l'avenir !
Moscou de moins, qu'importe ? ôtez Paris, quelle ombre !
La boussole est perdue et le navire sombre ;
Le progrès stupéfait ne sait plus son chemin.
Si vous crevez cet oeil énorme au genre humain,
Ce cyclope est aveugle, et, hors des faits possibles,
Il marche en tâtonnant avec des cris terribles ;
Du côté de la pente il va dans l'inconnu.

*

Sans Paris, l'avenir naîtra reptile et nu.
Paris donne un manteau de lumière aux idées.
Les erreurs, s'il les a seulement regardées,
Tremblent subitement et s'écroulent, ayant
En elles le rayon de cet oeil foudroyant.
Comme au-dessous du temple on retrouve la crypte,
Et comme sous la Grèce on retrouve l'Egypte,
Et sous l'Egypte l'Inde, et sous l'Inde la nuit,
Sous Paris, par les temps et les races construit,
On retrouve, en creusant, toute la vieille histoire.
L'homme a gagné Paris ainsi qu'une victoire.
Le lui prendre à présent, c'est lui rendre son bât,
C'est frustrer son labeur, c'est voler son combat.
A quoi bon avoir tant lutté si tout s'effondre !
Thèbe, Ellorah, Memphis, Carthage, aujourd'hui Londre,
Tous les peuples, qu'unit un vénérable hymen,
De la raison humaine et du devoir humain
Ont créé l'alphabet, et Paris fait le livre.
Paris règne. Paris, en existant, délivre.
Par cela seul qu'il est, le monde est rassuré.

Un vaisseau comme un sceptre étendant son beaupré
Est son emblème ; il fait la grande traversée,
Il part de l'ignorance et monte à la pensée.
Il sait l'itinéraire ; il voit le but ; il va
Plus loin qu'on ne voulut, plus haut qu'on ne rêva,
Mais toujours il arrive : il cherche, il crée, il fonde,
Et ce que Paris trouve est trouvé pour le monde.
Une évolution du globe tout entier
Veut Paris pour pivot et le prend pour chantier,
Et n'est universelle enfin qu'étant française ;
Londre a Charles premier, Paris a Louis seize ;
Londre a tué le roi, Paris la royauté ;
Ici le coup de hache à l'homme est limité,
Là c'est la monarchie énorme et décrépite,
C'est le passé, la nuit, l'enfer, qu'il décapite.
Un mot que dit Paris est un ambassadeur ;
Paris sème des lois dans toute profondeur.
Sans cesse, à travers l'ombre et la brume malsaine,
Il sort de cette forge, il sort de cette cène
Une flamme qui parle ; il remplit le ciel bleu
De l'éternel départ de ses langues de feu.
On voit à chaque instant une troupe de rêves
Sublimes, qui, portant des flambeaux ou des glaives,
S'échappe de Paris et va dans l'univers ;
Dante vient à Paris faire son premier vers ;
Là Montesquieu construit les lois, Pascal les règles ;
C'est de Paris que prend son vol l'essaim des aigles.

Paris veut que tout monte au suprême degré ;
Il dresse l'idéal sur le démesuré ;
A l'appui du progrès, à l'appui des idées,
Il donne des raisons hautes de cent coudées ;
Pour cime et pour refuge il a la majesté
Des principes remplis d'une altière clarté ;
Le fier sommet du vrai, voilà son acropole ;
Il extrait Mirabeau du siècle de Walpole ;
Ce Paris qui pour tous fit toujours ce qu'il put
Est parfois Sybaris et jamais Lilliput,
Par la méchanceté naît où la hauteur cesse ;
Avec la petitesse on fait de la bassesse,
Et Paris n'est jamais petit ; il est géant
Jusque dans sa poussière et jusqu'en son néant ;
Le fond de ses fureurs est bon ; jamais la haine
Ne trouble sa colère auguste et ne la gène ;
Le coeur s'attendrit mieux lorsque l'esprit comprend,
Et l'on n'est le meilleur qu'en étant le plus grand.
De là la dignité de Paris, sa logique
Souffrant pour l'homme avec une douceur tragique,
Et la fraternité qui gronde en son courroux.
Les tyrans dans leurs camps, les hiboux dans leurs trous,
Le craignent, car voulant la paix, il veut l'aurore.
A la tendance humaine, obscure et vague encore,
Il creuse un lit, il fixe un but, il donne un sens ;
Du juste et de l'injuste il connaît les versants ;
Et du côté de l'aube il l'aide à se répandre.
Certains problèmes sont des fruits d'or pleins de cendre,
Le fond de l'un est Tout, le fond de l'autre est Rien ;
On peut trouver le mal en cherchant trop le bien ;
Paris le sait ; Paris choisit ce qui doit vivre.
Le droit parfois devient un vin dont on s'enivre ;
Ayant tout éveillé Paris peut tout calmer ;
Sa grande loi Combattre a pour principe Aimer ;
Paris admet l'agape et non la saturnale,
Et c'est lui qui, soudain, de l'énigme infernale
Souffle le mot céleste au sphinx déconcerté.

Où le sphinx dit : Chaos, Paris dit : Liberté !

Lieu d'éclosion ! centre éclatant et sonore
Où tous les avenirs trouvent toute l'aurore !
O rendez-vous sacré de tous les lendemains !
Point d'intersection des vastes pas humains !
Paris, ville, esprit, voix ! tu parles, tu rédiges,
Tu décrètes, tu veux ! chez toi tous les prodiges
Viennent se rencontrer comme en leur carrefour.
Du paria de l'Inde au nègre du Darfour,
Tout sent un tremblement si ton pavé remue.
Paris, l'esprit humain dans ton nid fait sa mue ;
Langue nouvelle, droits nouveaux, nouvelles lois,
Etre français après avoir été gaulois,
Il te doit tous ces grands changements de plumages.
Non, qui que vous soyez, non, quels que soient vos mages,
Vos docteurs, vos guerriers, vos chefs, quelle que soit
Votre splendeur qu'au fond de l'ombre on aperçoit,
O cités, fussiez-vous de phares constellées,
Quels que soient vos palais, vos tours, vos propylées,
Vos clartés, vos rumeurs, votre fourmillement,
Le genre humain gravite autour de cet aimant,
Paris, l'abolisseur des vieilles moeurs serviles,
Et vous ne pourrez pas le remplacer, ô villes,
Et, lui mort, consoler l'univers orphelin,
Non, non, pas même toi, Londres, ni toi, Berlin,
Ni toi, Vienne, ni toi, Madrid, ni toi, Byzance,
Si vous n'avez ainsi que lui cette puissance,
La joie, et cette force étrange, la bonté ;
Si, comme ce Paris charmant et redouté,
Vous n'avez cet éclair, l'amour, et si vous n'êtes
Océan aux ruisseaux et soleil aux planètes.

Car le genre humain veut que sa ville ait au front
L'auréole et dans l'oeil le rire vif et prompt,
Qu'elle soit grande, gaie, héroïque et jalouse,
Et reste sa maîtresse en étant son épouse.

Et dire que cette oeuvre auguste, que mille ans
Et mille ans ont bâtie, industrieux et lents,
Que la cité héros, que la ville prophète,
Dire, ô cieux éternels ! que la merveille faite
Par vingt siècles pensifs, patients et profonds,
Qui créèrent la flamme où nous nous réchauffons
Et mirent cette ville au centre de la sphère,
Une heure folle aurait suffi pour la défaire !

*

Sombre année. Epopée en trois livres hideux.
Les hommes n'ont rien vu de tel au-dessus d'eux.
Attila. Puis Caïn. Maintenant Erostrate.
O torche misérable, abjecte, aveugle, ingrate !
Quoi ! disperser la ville unique à tous les vents !
Ce Paris qui remplit de son coeur les vivants,
Et fait planer qui rampe et penser qui végète !
Jeter au feu Paris comme le pâtre y jette,
En le poussant du pied, un rameau de sapin !
Quoi ! tout sacrifier ! quoi ! le grenier du pain !
Quoi ! la Bibliothèque, arche où l'aube se lève,
Insondable A B C de l'idéal, où rêve
Accoudé, le progrès, ce lecteur éternel,
Porte éclatante ouverte au bout du noir tunnel,
Grange où l'esprit de l'homme a mis sa gerbe immense !

Pour qui travaillez-vous ? où va votre démence ?
Deux faces ici-bas se regardent, le jour
Et la nuit, l'âpre Haine et le puissant Amour,
Deux principes, le bien et le mal, se soufflettent,
Et deux villes, qui sont deux mystères, reflètent,
Ce choc de deux éclairs devant nos yeux émus,
Et Rome est Arimane et Paris est Ormus.
Rome est le maître-autel où les vieux dogmes fument
Au sommet de Paris à flots de pourpre écument
En pleine éruption toutes les vérités,
La justice, jetant des rayons irrités,
La liberté, le droit, ces grandes clartés vierges.
En face de la Rome où vacillent les cierges,
Des révolutions Paris est le volcan.
Ici l'Hôtel-de-Ville et là le Vatican.
C'est au profit de l'un qu'on supprimerait l'autre.
Rome hait la raison dont Paris est l'apôtre.
O malheureux ! voyez où l'on vous entraîna.
Devant le lampion vous éteignez l'Etna !
Il ne resterait plus que cette lueur vile.
Le Vatican prospère où meurt l'Hôtel-de-Ville.
Deuil ! folie ! immoler l'âme au suaire noir,
La parole au bâillon, l'étoile à l'éteignoir,
La vérité qui sauve au mensonge qui frappe,
Et le Paris du peuple à la Rome du pape !

*

Le genre humain peut-il être décapité ?

Vous imaginez-vous cette haute cité
Qui fut des nations la parole, l'ouïe,
La vision, la vie et l'âme, évanouie !
Vous représentez-vous les peuples la cherchant ?
On ne voit plus sa lampe, on n'entend plus son chant.
C'était notre théâtre et notre sanctuaire ;
Elle était sur le globe ainsi qu'un statuaire
Sculptant l'homme futur à grands coups de maillet ;
L'univers espérait quand elle travaillait ;
Elle était l'éternelle, elle était l'immortelle ;
Qu'est-il donc arrivé d'horrible ? où donc est-elle ?
Vous les figurez-vous s'arrêtant tout à coup ?
Quel est ce pan de mur dans les ronces debout ?
Le Panthéon ; ce bronze épars, c'est la colonne ;
Ce marais où l'essaim des corbeaux tourbillonne,
C'est la Bastille ; un coin farouche où tout se tait,
Où rien ne luit, c'est là que Notre-Dame était ;
La limace et le ver souillent de leurs morsures
Les pierres, ossements augustes des masures ;
Pas un toit n'est resté de toutes ces maisons
Qui du progrès humain reflétaient les saisons ;
Pas une de ces tours, silhouettes superbes ;
Plus de ponts, plus de quais ; des étangs sous des herbes,
Un fleuve extravasé dans l'ombre, devenu
Informe, et s'en allant dans un bois inconnu ;
Le vague bruit de l'eau que le vent triste emporte.
Et voyez-vous l'effet que ferait cette morte !

*

Mais qui donc a jeté ce tison ? Quelle main,
Osant avec le jour tuer le lendemain,
A tenté ce forfait, ce rêve, ce mystère
D'abolir la ville astre, âme de notre terre,
Centre en qui respirait tout ce qu'on étouffait ?
Non, ce n'est pas toi, peuple, et tu ne l'as pas fait.
Non, vous les égarés, vous n'êtes pas coupables !
Le vénéneux essaim des causes impalpables,
Les vieux faits devenus invisibles vous ont
Troublé l'âme, et leur aile a battu votre front ;
Vous vous êtes sentis enivrés d'ombre obscure ;
Le taon vous poursuivait de son âcre piqûre,
Une rouge lueur flottait devant vos yeux,
Et vous avez été le taureau furieux.

J'accuse la Misère, et je traîne à la barre
Cet aveugle, ce sourd, ce bandit, ce barbare,
Le Passé ; je dénonce, ô royauté, chaos,
Tes vieilles lois d'où sont sortis les vieux fléaux !
Elles pèsent sur nous, dans le siècle où nous sommes,
Du poids de l'ignorance effrayante des hommes ;
Elles nous changent tous en frères ennemis ;
Elles seules ont fait le mal ; elles ont mis
La torche inepte aux mains des souffrants implacables.
Elles forgent les noeuds d'airain, les affreux câbles,
Les dogmes, les erreurs, dont on veut tout lier,
Rapetissent l'école et ferment l'atelier ;
Leur palais a ce gui misérable, l'échoppe ;
Elles font le jour louche et le regard myope ;
Courbent les volontés sous le joug étouffant ;
Vendent à la chaumière un peu d'air, à l'enfant
L'alphabet du mensonge, à tous la clarté fausse ;
Creusent mal le sillon et creusent bien la fosse ;
Ne savent ce que c'est qu'enseigner, qu'apaiser ;
Ont de l'or pour payer à Judas son baiser,
N'en ont point pour payer à Colomb son voyage ;
N'ont point, depuis les temps de Cyrus, d'Astyage,
De Cécrops, de Moïse et de Deucalion,
Fait un pas hors du lâche et sanglant talion ;
Livrent le faible aux forts, refusent l'âme aux femmes,
Sont imbéciles, sont féroces, sont infâmes !
Je dénonce les faux pontifes, les faux dieux,
Ceux qui n'ont pas d'amours et ceux qui n'ont pas d'yeux
Non, je n'accuse rien du présent, ni personne ;
Non, le cri que je pousse et le glas que je sonne,
C'est contre le passé, fantôme encor debout
Dans les lois, dans les moeurs, dans les haines, dans tout.
J'accuse, ô nos aïeux, car l'heure est solennelle,
Votre société, la vieille criminelle !
La scélérate a fait tout ce que nous voyons ;
C'est elle qui sur l'âme et sur tous les rayons
Et sur tous les essors posa ses mains immondes,
Elle qui l'un par l'autre éclipsa les deux mondes,
La raison par la foi, la foi par la raison ;
Elle qui mit au haut des lois une prison ;
Elle qui, fourvoyant les hommes, même en France,
Créa la cécité qu'on appelle ignorance,
Leur ferma la science, et, marâtre pour eux,
Laissant noirs les esprits, fit les coeurs ténébreux !
Je l'accuse, et je veux qu'elle soit condamnée.
Elle vient d'enfanter cette effroyable année.
Elle égare parfois jusqu'à d'affreux souhaits
Toi-même, ô peuple immense et puissant qui la hais !
Le boeuf meurtri se dresse et frappe à coups de corne.
Elle a créé la foule inconsciente et morne,
Elle a tout opprimé, tout froissé, tout plié,
Tout blessé ; la rancune est un glaive oublié,
Mais qu'on retrouve ; hélas ! la haine est une dette.
Cette société que les vieux temps ont faite,
Depuis deux mille ans règne, usurpe notre bien,
Notre droit, et prend tout même à ceux qui n'ont rien ;
Elle fait dévorer le peuple aux parasites ;
La guerre et l'échafaud, voilà ses réussites ;
Elle n'a rien laissé que l'instinct animal
Au sauvage embusqué dans la forêt du mal ;
Elle répond de tout ce que peut faire l'homme ;
La bête fauve sort de la bête de somme,
L'esclave sous le fouet se révolte, et, battu,
Fuit dans l'ombre, et demande à l'enfer : Me veux-tu ?
Etonnez-vous après, ô semeurs de tempêtes,
Que ce souffre-douleur soit votre trouble-fêtes,
El qu'il vous donne tort à tous sur tous les points ;
Qu'il soit hagard, fatal, sombre, et que ses deux poings
Reviennent tout à coup, sur notre tragédie
Secouer, l'un le meurtre, et l'autre l'incendie !
J'accuse le passé, vous dis-je ! il a tout fait.
Quand il abrutissait le peuple, il triomphait.
Il a Dieu pour fantôme et Satan pour ministre.
Hélas ! il a créé l'indigence sinistre
Qui saigne et qui se venge au hasard, sans savoir,
Et qui devient la haine, étant le désespoir !

Qui que vous soyez, vous que je sers et que j'aime,
Souffrants que dans le mal la main du crime sème,
Et que j'ai toujours plaints, avertis, défendus
O vous les accablés, ô vous les éperdus,
Nos frères, repoussez celui qui vous exploite !
Suivez l'esprit qui plane et non l'esprit qui boite ;
Montez vers l'avenir, montez vers les clartés :
Mais ne vous laissez plus entraîner ! résistez !
Résistez, quel que soit le nom dont il se nomme,
A quiconque vous donne un conseil contre l'homme ;
Résistez aux douleurs, résistez à la faim.
Si vous saviez combien on fut près de la fin !

*

Oh ! l'applaudissement des spectres est terrible !
Peuple, sur ta cité, comme aux temps de la Bible,
Quand l'incendie aux crins de flamme se leva,
Quand, ainsi que Ninive en proie à Jehovah,
Lutèce agonisa, maison de la lumière ;
Quand le Louvre prit feu comme un toit de chaumière,
Avec mil huit cent trente, avec quatre-vingt-neuf !
Quand la Seine coula rouge sous le pont Neuf ;
Quand le Palais, école où la justice épelle,
Soudain se détachant de la Sainte-Chapelle,
Tomba comme un haillon qu'une femme découd ;
Quand la destruction empourpra tout à coup
Le haut temple où Voltaire et Jean-Jacques dormirent,
Et tout ce vaste amas que les peuples admirent,
Dômes, arcs triomphaux, cirques, frontons, pavois,
D'où partent des clartés et d'où sortent des voix,
Quand on crut un moment voir la cité de gloire,
D'espérance et d'azur changée en ville noire,
Et Paris en fumée affreuse dissipé ;
Ce flamboiement lugubre, ainsi que dans Tempé
Avril vient doucement agiter les colombes,
Réveilla dans l'horreur sépulcrale les tombes ;
Et l'horizon s'emplit de fantômes criant :
O trépassés, venez voir mourir l'Orient !
Les méduses riaient avec leurs dents funèbres ;
Le ciel eut peur, la joie infâme des ténèbres
Eclata, l'ombre vint insulter le flambeau ;
Torquemada sortit du gouffre et dit : C'est beau.
Cisneros dit : Voilà le grand bûcher de l'Homme !
Sanchez grinça : L'abîme est fait. Regarde, ô Rome !
Tout ce qu'on nomme droit, principes absolus,
République, raison et liberté, n'est plus !
Tous les bourreaux, depuis Néron jusqu'à Zoïle,
Contents, vinrent jeter un tison dans la ville,
Et Borgia donna sa bénédiction.
Czars, sultans, Escobar, Rufin, Trimalcion,
Tous les conservateurs de l'antique souffrance,
Admirèrent, disant : C'est fini. Plus de France !
Ce qui s'achève ainsi ne recommence point.
A Danton interdit Brunswick montra le poing ;
On entendit mugir le veau d'or dans l'étable ;
Dans cette heure où le ciel devint épouvantable,
Le groupe monstrueux de tous les hommes noirs,
Sombre, et pour espérance ayant nos désespoirs,
Voyant sur toi, Paris, la mort ouvrir son aile,
Eut l'éblouissement de la nuit éternelle.

IV

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire !
Toute l'ombre est livrée à l'immense colère.
Coups de foudre, bruits sourds. Pâles, nous écoutons.
Le supplice imbécile et noir frappe à tâtons.
Rien de divin ne luit. Rien d'humain ne surnage.
Le hasard formidable erre dans le carnage,
Et mitraille un troupeau de vaincus, sans savoir
S'ils croyaient faire un crime ou remplir un devoir.
L'ombre engloutit Babel jusqu'aux plus hauts étages.
Des bandits ont tué soixante-quatre otages,
On réplique en tuant six mille prisonniers.
On pleure les premiers, on raille les derniers.
Le vent qui souffle a presque éteint cette veilleuse,
La conscience. O nuit ! brume ! heure périlleuse !
Les exterminateurs semblent doux, leur fureur
Plaît, et celui qui dit : Pardonnez ! fait horreur.
Ici l'armée et là le peuple ; c'est la France
Qui saigne ; et l'ignorance égorge l'ignorance.
Le droit tombe. Excepté Caïn, rien n'est debout.
Une sorte de crime épars flotte sur tout.
L'innocent paraît noir tant cette ombre le couvre.
L'un a brûlé le Louvre. Hein ? Qu'est-ce que le Louvre ?
Il ne le savait pas. L'autre, horribles exploits,
Fusille devant lui, stupide. Où sont les lois ?
Les ténèbres avec leurs sombres soeurs, les flammes,
Ont pris Paris, ont pris les coeurs, ont pris les âmes.
Je tue et ne vois pas. Je meurs et ne sais rien.
Tous mêlés, l'enfant blond, l'affreux galérien,
Pères, fils, jeunes, vieux, le démon avec l'ange,
L'homme de la pensée et l'homme de la fange,
Dans on ne sait quel gouffre expirent à la fois.
Dans l'effrayant brasier sait-on de quelles voix
Se compose le cri du boeuf d'airain qui beugle ?

La mort sourde, ô terreur, fauche la foule aveugle.
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Victor HUGO (1802-1885) Paris incendié
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