JEANNE ENDORMIE. — II
Elle dort; ses beaux yeux se rouvriront demain;
Et mon doigt qu'elle tient dans l'ombre emplit sa main;
Moi, je lis, ayant soin que rien ne la réveille,
Des journaux pieux; tous m'insultent; l'un conseille
De mettre à Charenton quiconque lit mes vers;
L'autre voue au bûcher mes ouvrages pervers;
L'autre, dont une larme humecte les paupières,
Invite les passants à me jeter des pierres;
Mes écrits sont un tas lugubre et vénéneux
Où tous les noirs dragons du mal tordent leurs noeuds;
L'autre croit à l'enfer et m'en déclare apôtre;
L'un m'appelle Antechrist, l'autre Satan, et l'autre
Craindrait de me trouver le soir au coin d'un bois;
L'un me tend la ciguë et l'autre me dit: Bois!
J'ai démoli le Louvre et tué les otages;
Je fais rêver au peuple on ne sait quels partages;
Paris en flamme envoie à mon front sa rougeur;
Je suis incendiaire, assassin, égorgeur,
Avare, et j'eusse été moins sombre et moins sinistre
Si l'empereur m'avait voulu faire ministre;
Je suis l'empoisonneur public, le meurtrier;
Ainsi viennent en foule autour de moi crier
Toutes ces voix jetant l'affront, sans fin, sans trêve;
Cependant l'enfant dort, et, comme si son rêve
Me disait:—Sois tranquille, ô père, et sois clément!—
Je sens sa main presser la mienne doucement.