PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Victor HUGO (1802-1885) L'âme patience entre dans le détail

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Victor HUGO (1802-1885) L'âme patience entre dans le détail Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) L'âme patience entre dans le détail   Victor HUGO (1802-1885) L'âme patience entre dans le détail Icon_minitimeJeu 22 Sep - 23:37

L'ÂNE PATIENCE ENTRE DANS LE DÉTAIL

L'âne à ce qu'il disait rêva dans le silence,
Comme on suit du regard une pierre qu'on lance,
Puis ajouta :
-- Serrons de près les questions.
Veux-tu que nous causions et que nous discutions ?
Soit.
Quoique le lecteur, à Sainte-Geneviève,
Trouve peu d'os à moelle et peu d'auteurs à sève ;
Quoique, à l'Escurial, où Philippe pria,
Le plafond sépulcral de la Libraria,
Couvrant dossiers, cahiers, brochures, fascicules,
Ressemble à de la nuit noyant des crépuscules ;
Quoique Oxford la savante ait, sous ses hauts châssis,
Moins de textes vivants que de centons moisis ;
Quoique le maréchal vicomte de Turenne,
Caboche de soldat brutalement sereine,
Ait jugé, pataugeant dans les in-octavos,
La Rupertine bonne à loger ses chevaux ;
Quoique l'Arsenal fasse, alors qu'on le secoue,
Tourner tant de néant sur son pupitre à roue ;
Quoique, poussant des cris de triomphe, un essaim
De corbeaux, contemplant l'institut, son voisin,
Perche à la Mazarine, et que la Vaticane
Ait des angles si noirs que le diable y ricane,
Hommes, vous êtes fiers quand vous considérez
Vos bouquins reliés, catalogués, vitrés,
Avec vos rhéteurs dieux et vos pédants principes
Taillés en marbre jaune et juchés sur des cippes,
Et, j'en conviens, on a le vertige en voyant
Ce sombre alignement de livres, effrayant,
Inouï, se perdant sous les bahuts qui tremblent,
Ces vastes rendez-vous de volumes, qui semblent
Les légions du faux et du vrai s'avançant
En bon ordre, sous l'oeil trouble du temps présent,
Pour se livrer combat au fond des hypogées,
Et de l'esprit humain les batailles rangées ;
Certes, j'admets que vous, les hommes, soyez vains
De cet entassement épique d'écrivains,
De tous ces papyrus et de toutes ces bibles ;
C'est beau de voir Saumaise, agitant ses vieux cribles,
Tamiser ces monceaux d'esprit sur les pavés ;
C'est beau d'avoir l'Exode avec des bois gravés
Par Alde de Venise ou Windelin de Spire ;
Je conviens qu'on retient son souffle et qu'on respire
À peine quand on voit, dans vos doctes hangars,
Les tombes frissonner sous les piocheurs hagards ;
C'est beau de pouvoir dire : Admirez les estampes ;
Ici Virgile avec un laurier sur les tempes,
Là Chapelain avec plus de laurier encor ;
Voici des manuscrits étalant sur fond d'or
Mainte arabesque pure, inextricable et nette
À rendre Goujon pâle et jaloux Biscornette ;
Çà, c'est Newton ; voyez quel beau Félibien !
Voici le grand, voici le vrai, voici le bien ;
Barmne est là pour ses Lois, saint Thomas pour sa Somme,
Platon pour son Timée ; et l'on comprend que l'homme
Fasse la roue avec tous ses livres au dos ;
Mais, ô dignes humains pris sous tant de bandeaux,
Ce profond répertoire où la doctrine abonde,
Ce sombre cabinet de lecture du monde,
Tous ces textes, qui font le silence autour d'eux,
Depuis l'infortiat jusqu'à l'in-trente-deux,
Et d'où l'odeur des ans et des peuples s'exhale,
Cette bibliopole auguste et colossale
Qu'on voit, jetant au loin sa lueur aux cerveaux,
Flamboyer au-dessus de tous vos noirs travaux,
Comme la cheminée énorme de l'usine ;
Toute cette raison que l'homme emmagasine,
Étageant grecs sur juifs, juifs sur égyptiens ;
Que le temps sur le tas vient vider par hottées,
Ces Pascals, ces Longins, ces Jobs, ces Timothées,
Doux, sévères, touchants, mystérieux, railleurs,
Qu'est-ce si tout cela ne vous rend pas meilleurs ?
Par mon échine illustre et semblable aux coulées
De laves du Gibel âpres et dentelées,
Par les traductions du vieux père Brumoy,
Par l'honneur que m'a fait Christ en montant sur moi
Comme si l'âne était un degré de Calvaire,
Je le jure devant l'aube et la primevère,
Devant la fleur, devant la source et le ravin,
Digne Kant, je suis prêt à proclamer divin,
Vénérable, excellent, et j'admire et j'accepte
L'enseignement duquel on sortirait inepte,
Ignare, aveugle, sourd, buse, idiot ; mais bon.
Mais apprends par coeur Jove, Ughel et Casaubon,
Baronius, Ibas d'Edesse, Théétète ;
Médie Boctoner à fond ; romps-toi la tête
Au sens qu'Eunapius donne à tel ou tel mot ;
Va de l'abbé Tudesche au cardinal Cramaud ;
Nourris-toi de Bohier, vieille prose bourrue ;
Dévore Ammirato, Walinge, Pellagrue ;
Vide résolument jusqu'à la lie et bois
André Schott, Sylvius autrement dit Dubois,
Massillon qui pérore et Fléchier qui harangue,
Docte Kant, je consens à fourbir de ma langue
Tous ces volumes, ceux qui sont noirs d'encre, et ceux
Qui sont tachés de sang, et ceux qui sont crasseux,
Y compris les fermoirs, la basane et les cuivres,
Si tu te sens, après avoir lu tous ces livres,
D'humeur à me donner un coup de pied de moins.

Si l'on veut faire grâce, en leurs lugubres coins,
À tous ces vieux vélins jargonnant tous les styles,
Ce qu'on peut dire, ô Kant, c'est qu'ils sont inutiles.
Et, philosophe ! au fait, comment tous ces monceaux
De tomes, gravement contemplés par les sots,
Pourraient-ils enfanter un résultat quelconque ?
Un rien les dépareille ou les brouille ou les tronque.
Puis ils se font la guerre entre eux, je te l'ai dit.

Le volume savant hait le tome érudit ;
Le littéraire gourme avec le politique ;
On joute à qui sera le plus paralytique,
Le plus obscur, le plus diffus, le plus pesant,
Et du juste, du vrai, du beau, le plus absent ;
C'est à qui se fera lourd, majestueux, vaste,
À qui sera poudreux avec le plus de faste ;
Car tous ces livres sont des vivants ténébreux ;
L'oeil qui les voit croit voir des grands-prêtres hébreux,
Et quand de leurs casiers le jour perce les fentes,
Ils ont sur leurs rayons des airs d'hiérophantes ;
Ils sont l'autorité régnant dans son caveau,
L'esprit de l'homme avec reliure de veau ;
Avoir force feuillets, notes, renvois, chapitres,
Faire pousser des cris terribles aux pupitres,
Être un livre de poids par-dessus tout, voilà
L'ambition, le but, la gloire ; et pour cela
Le bénédictin creuse, édifie et laboure ;
Le volume veut être imposant, il se bourre
De blanc, de noir, de faits, de vent, de vieux, de neuf,
Et la grenouille idée enfle le livre boeuf.

Dans l'olympe farouche et sinistre des livres,
Lieu polaire où l'on prend les vitres pour des givres ;
Dans l'immense grenier du bouquiniste humain
Où l'étude et la nuit scellent leur triste hymen,
Depuis que l'homme écrit, que l'esprit se fourvoie,
Que la première plume a fui la première oie ;
Dans ce dock du grimoire universel, tunnel
Et puits du griffonnage antique et solennel,
Où l'erreur sur l'erreur s'amoncelle, où s'entasse
La savantasserie avec le savantasse,
Gouffre où sans voir l'ennui, ce miasme, on le sent,
Où s'est faite, de siècle en siècle grossissant,
Comme un ulcère croît, comme grandit un chancre,
L'horrible alluvion du déluge de l'encre,
Dans ce dépôt qu'emplit le froid morne des ifs,
Il faut les voir rangés, ces testaments massifs,
Ces volumes titans dont un fort de la halle
Aurait peine à porter la lourdeur idéale,
Ces tomes à stature écrasante, ulémas
Des lutrins monstrueux et des puissants formats ;
Ceux-ci bardés de cuir, ceux-là vêtus de moire,
Ils encombrent des temps la ténébreuse armoire ;
D'autres ouvrages sont éphémères, charnels,
Réels, mortels, humains ; eux sont les éternels ;
La cendre, qui du livre est l'austère rosée,
Leur arrive à travers les astres tamisée ;
Chacun d'eux est un fort, chacun d'eux est un mont,
Chacun d'eux est un culte ; eux des livres, fi donc !
Ils sont des avestas, ils sont des lévitiques,
Chacun d'eux est le Livre ; ils sont les hauts portiques
Et les larges piliers de la maison d'Isis ;
Ils sont les chênes noirs, vénérables, moisis,
De la Dodone obscure et lugubre des âmes ;
On en entend sortir des voix de vieilles femmes ;
Et l'ombre qui descend de leurs rameaux touffus
Va du Philothéos jusqu'au Polymorphus ;
Ils sont les dolmens lourds et branlants ; les registres
Pétrifiés du monde aveugle et fou des cuistres ;
Des espèces de blocs funèbres et bavards ;
Eux des livres, fi donc ! ils sont des boulevards ;
Ils sont les élégants sacrés de la doctrine,
Les sphinx géants ayant l'oracle en leur narine,
Les colosses pensifs de la religion,
Ils sont des dieux. - Mais gare au diable Légion !
Gare à ce gamin sombre appelé petit livre !
Le format portatif est un monstre ; il délivre,
Il proteste, il combat ; c'est hideux, c'est criant ;
Comme avec son épingle il crochète en riant
La serrure de fer d'une bible bastille !
Il a la clef des champs, ce brigand ; il pétille,
Il éclate ; il est clair, rapide, âpre, éloquent ;
Il court, et met le feu partout. Oui, mon vieux Kant,
Poussière fulminante éparse sur les tables,
Les livres légers sont aux pesants redoutables ;
Un frêle Capulet tue un gros Montaigu ;
Un Diderot de poche, imprenable, exigu,
Invisible, détruit la montagne de tomes
Que font les Augustins mêlés aux Chrysostomes ;
Que Laplace ait un jour sur sa calme hauteur
(Mais il ne l'aura point, car on est sénateur)
Le caprice de faire un almanach sauvage
Et sincère, à deux sous, et voyez le ravage !
L'almanach grimpe droit à l'azur, court, descend,
Monte, ôte à saint Michel son nimbe, va chassant
Saint Médard de son ciel, saint Pierre de sa loge,
Extermine Turnèbe, Arnobius, Euloge,
Moïse, Bossuet et l'abbé de Corbeil,
Et casse Josué, gendarme du soleil ;
Et c'est fini, voilà la Légende dorée
Croulant sous l'ironique et splendide empyrée ;
Un tout petit Montaigne, adroit, glissant, rongeur,
Malgré leur profondeur et malgré leur largeur,
Va démolir Gennade et Thégan par la base ;
Un leste Beaumarchais en quelques instants rase,
Avec leur clientèle honorable d'abus,
Les de Maistre les plus caducs, les plus barbus ;
Saint-Évremond accourt, moqueur, alerte, ingambe,
Et maintenant cherchez Symmachus, Alegambe,
Et le père Gretser et le père Poussin !
Paul-Louis colletant saint Luc, quel assassin !
Un essaim de pamphlets qui s'échappe dégrade,
Sur leur lit de justice ou leur lit de parade,
Sigonius, Prudence, Alde et le sieur Pithou ;
D'où viennent-ils ? j'ignore ; - où vont-ils ? Dieu sait où !
Mais ils mangent les saints jusqu'aux dernières plumes ;
Sur les tomes debout ainsi que les enclumes
De la forge du deuil, de l'erreur et du vent,
Ils se répandent gais, cassant, rageant, bravant,
Des révolutions anarchique avant-garde ;
Et l'on entend courir dans la brume hagarde
Le pas tumultueux de ces trotte-menu ;
Et ce désordre est fait par ce peuple inconnu
Au nez du marguillier et sous l'oeil de l'édile ;
Ainsi que l'ichneumon détruit le crocodile
Le doute in-dix-huit bat le dogme in-folio ;
Malheur à l'alcoran qu'attaque un fabliau !
Un missel sur qui plane un couplet est malade ;
Je plains l'infortiat qu'une puce escalade,
L'infortiat fût-il plein de rois et de dieux,
Si la puce, agitant son stylet radieux,
Saute, atome effrayant, la largeur de la terre
Et la hauteur d'un siècle, et se nomme Voltaire.

-- Mais, dis-tu, ce baudet n'a pas le sens commun.
Il veut un résultat ; n'en est-ce dont pas un ?

Ce combat des penseurs est sublime. - À merveille.
Qu'en sort-il ? Baal meurt, l'ours fuit devant l'abeille,
Soit. On lutte, on s'acharne, assaut, mêlée à mort !
Et la science pique et la sagesse mord ;
Que reste-t-il au coeur, la bataille finie ?
Hélas ! la nudité d'une immense ironie ;
Tous les profonds instincts glacés et grelottants ;
Kant, ce n'est pas cela que de l'homme j'attends.
L'esprit triomphe. À bas le vieux dogme ! on l'écrase,
Il tombe ; le passé s'effondre ; table rase ;
Bien. Plus je suis vainqueur, plus je suis assombri .
Une négation est un sinistre abri ;
Où mettrai-je mon âme ? est-ce dans un décombre ?
Je conviens que je dois à cette troupe sombre,
À ces démolisseurs de l'antique fatras,
Tout le logis qu'on peut avoir dans un plâtras.
La pioche, et pas de toit ; la faux, et pas de gerbe.
Est-ce donc là le but de ton effort superbe,
Homme, architecte auguste, être prédestiné ?
Satan fait avorter Adam, son puîné ;
J'en gémis ; l'homme manque à sa tâche divine.
Je cherche un édifice et je trouve une ruine.

IV

LA NUIT AUTOUR DE L'HOMME

J'ai des objections à l'homme, tu le vois.
Qu'il existe une loi, mêlée aux vagues lois
Que nous entrevoyons par nos pâles fenêtres,
Qui, dans l'échelle obscure et tremblante des êtres,
Place au-dessus de nous ce pleureur, ce rieur,
Qui fasse l'âne aux fils d'Adam inférieur,
Qui mette moins de verbe en plus de bouche, et rende
L'endettement plus court dans l'oreille plus grande,
C'est possible ; après tout, ça regarde l'auteur ;
Que l'homme ait ou n'ait pas le droit sur sa hauteur
D'être traité par nous d'une façon civile,
Et d'être salué roi par la longue file
D'animaux que Noé dans son arche classait,
Par le lion ayant dans sa griffe un placet,
Par le corbeau tenant dans son bec un hommage ;
Qu'il dise : -- Dieu n'a fait qu'Adam à son image ; -
Peu m'importe ; je parle à cette majesté
Crûment, je ne suis pas de bassesse frotté,
Je suis franc ; ma parole est âpre, mais certaine,
Car je préfère, étant frère de La Fontaine,
Et quelque peu cousin d'Agrippa d'Aubigné,
Le réel, même rude, au faux, même peigné,
Les toisons de la brute aux perruques de l'homme ;
Je ne fais pas ma cour, Kant, je suis économe
D'admirer sottement et lâchement le roi,
Et je trouve en Dangeau plus d'âne que dans moi.
Si l'homme est majesté, cette majesté boite.
Quand la mort a serré ce pantin dans sa boîte,
En sort-il un esprit qui s'envole ? Psyché
Jaillit-elle à travers l'arlequin démanché ?
Je n'en sais rien. Cherchez. Il fait nuit.

Ce qui reste
Évident dans la brume adorable ou funeste,
C'est que c'est un vivant médiocre et mauvais.
Je deviendrais méchant, si je ne me sauvais,
Rien que pour avoir vu de près ce pauvre hère.

Je n'estime pas plus son grelot que sa haire,
Et son austérité que son relâchement ;
Quand sa bouche dit vrai par hasard, son oeil ment ;
Fumée, il s'évapore en toutes les emphases ;
Son ventre et son cerveau n'ont point les mêmes phases.
La terre a son instinct, la lune a sa raison ;
Entre l'air et son souffle il met une cloison ;
Au lieu d'être le vaste esprit cosmopolite,
Il est toujours d'un lieu quelconque satellite,
Juif, grec, anglais dans l'Inde, au Brésil portugais ;
Il rêve des édens et fait des paraguays ,
Il se tient hors du code ou hors de la nature ;
Las, refroidi, blasé, s'il veut par aventure
Devenir vertueux, quels lugubres essais !
Il ne sait que passer de l'excès à l'excès,
De l'abus au défaut, de l'alcôve à la haine,
D'Ève au cloître, et que fuir don Juan dans Origène.

Voletant vaguement de la Trappe à Paphos,
Mouche heurtant de l'aile au soupirail du faux,
Bourdon de tous les dieux et de toutes les vitres,
Donnant pour moule aux fronts les casques et les mitres,
Forgeron d'imposture, ouvrier de fureurs,
Fabriquant au mensonge une armure d'erreurs,
Il n'est pas d'épithète outrageuse, honnie,
Vile, dont on ne puisse orner sa litanie.

Certe, on se tromperait de croire que l'azur,
Les sphères, les levers d'étoiles, l'éther pur,
Et le nimbe solaire et l'auréole astrale
Filtrent dans l'âme humaine en lumière morale.
Kant, c'est un malheur d'être une voûte à cachot,
Une cave fermée au ciel splendide et chaud,
Une maison de nuit. Hélas ! l'homme en est une.
Il a cette mauvaise et fatale fortune
Que son obscurité résiste obstinément
Au lys, à la colombe, à l'aube, au firmament.

Rien, ni l'Etna qui semble en braise se dissoudre,
Ni le passage vaste et fuyant de la foudre,
Ni la lune, ébauchant quelque sacré contour,
Pas même l'évidence éclatante du jour,
Pas même le feu noir qui dévore Sodome,
Rien ne peut éclairer l'intérieur de l'homme.

Ô Kant, l'homme est drapé de rêves mal tissus.
Vêtu d'un haillon sombre, il porte par-dessus
Une pourpre d'orgueil prise aux fausses sagesses.
Il est fils des géants mariés aux singesses ;
Il a plus de grimace encor que de grandeur ;
Son profil de beauté d'un profil de laideur
Se double, et son sublime adhère au ridicule
De si près qu'on le croit fait pour le crépuscule.
Aussi quelle ombre en lui ! quelle ombre autour de lui !
Il sent sous tous ses pas trembler le point d'appui,
Ce qu'il espère étant presque ce qu'il redoute ;
Un flot de trouble passe après un flot de doute ;
Tout se résout en gouffre, en chute, en tremblement
Sur on ne sait quel vague et blême escarpement,
En ouverture sombre, en cécité muette,
Tâtonnement au docte et vertige au poète ;
Et toujours, au-dessus du lugubre horizon,
Et de votre savoir et de votre raison,
L'idole, le cromlech, l'autel, dressent leur cime
Que blanchit un rayon monstrueux de l'abîme.
Mais du moins faites-vous ce qu'il faudrait pour voir
Un peu plus de clarté dans votre cerveau noir ?
Point. La routine au fond du néant vous isole.
Vous avez tout, parole, écriture, boussole,
Vapeur, imprimerie, et scalpel et compas ;
Faites-vous donc du jour avec cela ? Non pas.
Avez-vous des esprits, des plongeurs, des génies,
De grands cerveaux ouvrant des portes infinies,
Des puisatiers géants creusant au ciel des trous,
Des penseurs, des trouveurs ? - Pardieu ! - Qu'en faites-vous ?
Revenir en haut Aller en bas
 
Victor HUGO (1802-1885) L'âme patience entre dans le détail
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Victor HUGO (1802-1885) Ma vie entre déjà dans l' ombre de la mort,
» Victor HUGO (1802-1885) Entre le zist et le zest
» Victor HUGO (1802-1885) Entre Lions et Rois
» Victor HUGO (1802-1885) Entre deux bombardements
» Victor HUGO (1802-1885) Choix entre les deux nations

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: