PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants

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Victor HUGO (1802-1885) Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants    Victor HUGO (1802-1885) Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants  Icon_minitimeJeu 22 Sep - 23:40

CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS DES ENFANTS

Et l'âne s'écria : -- Pauvres fous ! Dieu vous livre
L'enfant, du paradis des anges encore ivre ;
Vite, vous m'empoignez ce marmot radieux,
Ayant trop de clarté, trop d'oreilles, trop d'yeux,
Et vous me le fourrez dans un ténébreux cloître ;
On lui colle un gros livre au menton comme un goître ;
Et vingt noirs grimauds font dégringoler des cieux,
Ô douleur ! ce charmant petit esprit joyeux ;
On le tire, on le tord, on l'allonge, on le tanne,
Tantôt en uniforme, et tantôt en soutane ;
Un beau jour Trissotin l'examine, un préfet
Le couronne ; et c'est dit : un imbécile est fait.
Glycère et Jeanneton, ces deux filles célestes,
Qui courent dans Virgile et Ronsard, sont moins lestes,
Quand Sylvain les poursuit, le fauve jouvenceau,
À trousser leur jupon pour passer un ruisseau,
Un singe est moins agile à gober une pêche,
Les baleiniers, armant leurs pirogues de pêche,
Sont moins prompts à lancer leur barque au flot mouvant
Dès que d'un squale en marche ils entendent l'évent,
En frappant dans ses mains Bonaparte a moins vite
Chassé l'aigle tudesque et l'aigle moscovite
Qu'un pédant n'est rapide à défaire un esprit.
Oh ! que de fois, depuis qu'hélas ! on m'entreprit,
J'ai vu l'abrutisseur en chef, le grand pontife
Qui, lugubre, a le plus de crasse dans sa griffe,
Dans l'antre où se tenaient nos régents, nos dragons
Les plus chauves, les plus goutteux, les plus bougons,
Entrer, tenant par l'aile ou la patte sanglante
Une pauvre petite âme toute tremblante,
Et dire, en la jetant aux vieux : Plumez-moi ça !
Je me souviens des cris que plus d'une poussa
Pendant que son plumage auroral, son enfance,
Sa blancheur, sa candeur, sa gaîté sans défense,
Sous les vils ongles noirs d'un rustre aux yeux éteints,
Tombaient, duvet charmant, et que les sacristains
Heureux de voir l'oiseau tout nu dans leurs mains dures
Balayaient ces splendeurs des cieux au tas d'ordures !
L'aile pourtant n'est point arrachée au moignon ;
Elle repousse grise et faite au cabanon ;
L'enfant vit ; nul ne peut dire : Cette âme est morte ;
L'âme prend la couleur du verrou de la porte,
Voilà tout, et son œil clignote ; et maintenant,
Avec un encrier au croupion, traînant
Bréviaires, gradus, glossaires, cent volumes,
Toute la cuistrerie engluée à tes plumes,
Vole donc, alouette, au fond du libre azur !

La sacristie, hélas ! fait un deleatur
Du mystérieux D qui sert de majuscule
Au mot DIEU flamboyant dans notre crépuscule ;
Elle éteint dans les fronts les rayons libéraux.
Vous mutilez des coeurs, ah, niais ! ah, bourreaux !
Et vous raccourcissez des âmes ! et vous êtes
Dans l'auguste forêt d'horribles ciseaux bêtes !
Vous tondez les instincts, vous rognez les cerveaux ;
Sur le patron des vieux vous taillez les nouveaux ;
De la création vous troublez l'équilibre ;
Ignorant que tout être est fait pour croître libre,
Pour donner telle fleur et vivre en tel milieu,
Que toute âme a sa forme intime devant Dieu,
Et que toute nature a droit à sa broussaille,
Vous tronquez des talents, de même qu'à Versaille,
Ô brutes, vous changez en pains de sucre verts
Le cèdre et le cyprès, géants d'ombre couverts,
Sans même voir, parmi vos bronzes et vos marbres,
L'humiliation de tous ces pauvres arbres,
L'ennui de l'oranger fait pomme, et le chagrin
Des ifs taillés en cône autour du boulingrin.

Pédagogues ! toujours c'est ainsi que vous faites.
Tout l'esprit humain doit se mouler sur vos têtes ;
Pégase doit brouter dans votre basse-cour,
L'aile morte, et manger de votre foin. Le jour
Où, de votre perruque arrangeant les volutes,
Fiers, perchés sur Zoïle et Batteux, vous voulûtes
Définir le génie, expliquer la beauté,
Les mauvais estomacs ont dit : Sobriété ;
Les myopes ont dit : Soyons ternes ; la clique
Des précepteurs, geignant d'un air mélancolique,
A décrété : Le beau, c'est un mur droit et nu.
Donc Rubens est trop rouge et Puget trop charnu ;
L'art est maigre ; Vénus serait plus belle, étique.
Shakspeare, ce satan de votre art poétique,
Prodigue image, idée et vie à chaque pas ;
La nature, imitant Shakspeare, ne voit pas
Sur une vieille pierre une place vacante
Sans la donner à l'herbe ou l'offrir à l'acanthe ;
Le lierre énorme où l'art mystérieux se plaît
Emplit Heidelberg comme il emplit Hamlet ;
Vous coupez cette ronce auguste qui soupire ;
Vous tombez à grands coups de serpe sur Shakspeare,
Marauds, et vous frappez, jusqu'à n'en laisser rien,
Sur le grand chêne où flotte un hymne aérien.

À qui donc croyez-vous persuader, ô cuistres,
Que le beau, que le vrai vous ont pris pour ministres,
Et qu'Horace va dire : Hic lucidus ordo,
Parce que vous tirez des crétins au cordeau !

N'est-il pas odieux, ô Jean-Jacque, ô Molière,
Ô d'Aubigné, du droit puissant auxiliaire,
Qui disais en voyant un roi : Qu'est-ce que c'est ?
Montaigne, mon bon Michel que son père faisait
Éveiller le matin au son de la musique,
Diderot qui raillais tout le vieil art phtisique,
Ô libre Hoffmann, planant dans les rêves fougueux,
N'est-il pas désolant, dites, de voir ces gueux,
Tatoués de latin, de grec, d'hébreu, ces cancres
Dont l'âme prend un bain dans la noirceur des encres,
Exécuter l'enfance en leurs blêmes couvents !
Ne sont-ils pas hideux, ces faux docteurs, savants
À donner au progrès une incurable entorse,
Commençant par l'ennui pour finir par la force,
Du bâillement allant volontiers au bâillon,
Logiques, de Boileau concluant Trestaillon,
Vantant Bonald, couvrant de béates exergues
Piet, Cornet d'Incourt et Clausel de Coussergues,
Tâchant d'éteindre au fond des bleus éthers !
N'est-il pas monstrueux de voir ces magisters,
Casernés dans l'horreur de leur Isis occulte,
Poser sur l'avenir qui s'envole en tumulte
Avec l'emportement d'Achille et de Roland,
Ayant dans l'oeil l'éclair de Vasco s'en allant
Ou de Jason partant pour la plage colchique,
Leur bâton de sergent instructeur monarchique,
Et crier aux esprits : À droite ! alignement !

Écolâtres, au fond de votre enseignement
Est Rome, enfermant l'âme en sa funèbre enceinte ;
Vous êtes les prévôts de la science sainte
D'où jaillissant Newton et Watt, les caporaux
De l'art divin qui vit vibrer Sienne et Paros ;
Le vil marais vous charme et votre oeil le préfère ;
Vous feriez un étang, si l'on vous laissait faire,
De l'océan tordant ses flots sur les galets ;
En forgeant des pédants, vous créez des valets ;
En faisant le front bas vous faites l'âme basse ;
Qu'un de vos patients chuchote dans la classe,
Qu'il ose relever son museau d'écolier,
Et se gratter un peu le cou sous son collier,
Ô révolution ! anarchie ! il vous semble
Que l'alphabet lui-même entre vos pattes tremble,
Que l'F et que le B vont se prendre le bec,
Que l'O tourne sa roue aux cornes de l'Y,
Horreur ! et qu'on va voir le point, bille fatale,
Tomber enfin sur l'I, ce bilboquet tantale !

Votre système est vain, votre empirisme est faux.
Ayez donc la charrue avant d'avoir la faux.

Çà, vous figurez-vous, parlons net, camarades,
Qu'on est un vrai docteur pour avoir pris ses grades,
Et qu'on sait quelque chose en sortant de chez vous ?
Que la grande nature, aux bruits vastes et doux,
Belle, n'enseigne rien à l'esprit qu'elle élève ;
Et qu'Adam, ébloui de l'éden, épris d'Ève,
Attendait, pour que Dieu tout à fait le créât,
Qu'Iblis lui fît passer le baccalauréat ?
Non, la nature au fond pourrait suffire seule ;
Elle sait tout, elle est nourrice, étant aïeule !
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Victor HUGO (1802-1885) Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants
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