LA GARDE
Ninive, Sybaris, Chypre, et les cinq Sodomes
Ayant fourni beaucoup de ces soldats, la loi
Ne les admettait point dans la garde du roi.
L'armée est une foule ; elle chante, elle hue ;
Mais la garde, jamais mêlée à la cohue,
Muette, comme on est muet près des autels,
Marchait seule ; et d'abord venaient les Immortels,
Semblables aux lions secouant leurs crinières ;
Rien n'était comparable au frisson des bannières
Ouvrant et refermant leurs plis pleins de dragons ;
Tout le sérail du roi suivait dans des fourgons ;
Puis marchaient, plus pressés que l'herbe des collines,
Les eunuques, armés de longues javelines ;
Puis les bourreaux, masqués, traînant les appareils
De torture et d'angoisse, à des griffes pareils,
Et la cuve où l'on fait bouillir l'huile et le nitre.
Le Perse a la tiare et le Mède a la mitre ;
Les Dix mille, persans, mèdes, tous couronnés,
S'avançaient, fiers, ainsi que des frères aînés,
Et ces soldats mitrés étaient sous la conduite
D'Alphès, qui savait tous les chemins, hors la fuite ;
Et devant eux couraient, libres et sans liens,
Ces grands chevaux sacrés qu'on nomme Nyséens.
Puis, commandés chacun par un roi satellite,
Venaient trente escadrons de cavaliers d'élite,
Tous la pique baissée à cause du roi, tous
Vêtus d'or sous des peaux de zèbres ou de loups ;
Ces hommes étaient beaux comme l'aube sereine ;
Puis des prêtres portaient le pétrin où la reine
Faisait cuire le pain sans orge et sans levain ;
Huit chevaux blancs tiraient le chariot divin
De Jupiter, devant lequel le clairon sonne
Et dont le cocher marche à pied, vu que personne
N'a le droit de monter au char de Jupiter.
Les constellations qu'au fond du sombre éther
On entrevoit ainsi qu'en un bois les dryades,
Tous ces profonds flambeaux du ciel, ces myriades
De clartés, Arcturus, Céphée, et l'alcyon
De la mer étoilée et noire, Procyon,
Pollux qui vient vers nous, Castor qui s'en éloigne,
Cet amas de soleils qui pour les dieux témoigne,
N'a pas plus de splendeur et de fourmillement
Que cette armée en marche autour du roi dormant ;
Car le roi sommeillait sur son char formidable.