L'ENTRÉE DU ROI.
Vous ne m'allez qu'à la hanche ;
Quoique altier et hasardeux,
Vous êtes petit, roi Sanche ;
Mais le Cid est grand pour deux.
Quand chez moi je vous accueille
Dans ma tour et dans mon fort,
Vous tremblez comme la feuille,
Roi Sanche, et vous avez tort.
Sire, ma herse est fidèle ;
Sire, mon seuil est pieux ;
Et ma bonne citadelle
Rit à l'aurore des cieux.
Ma tour n'est qu'un tas de pierre,
Roi, mais j'en suis le seigneur ;
Elle porte son vieux lierre
Comme moi mon vieil honneur.
Mes hirondelles sont douces ;
Mes bois ont un pur parfum ;
Mes nids n'ont pas dans leurs mousses
Un cheveu pris à quelqu'un.
Tout passant, roi de Castille,
More ou juif, rabbin, émir,
Peut entrer dans ma bastille
Tranquillement, et dormir.
Je suis le Cid calme et sombre
Qui n'achète ni ne vend,
Et je n'ai sur moi que l'ombre
De la main du Dieu vivant.
Cependant je vous admire,
Vous m'avez fait triste et nu,
Et vous venez chez moi, sire ;
Roi, soyez le mal venu.