LE ROI EST LE ROI.
Roi, vous vous croyez moins prince
Et vous jurez par l'enfer
Dans cette montagne où grince
Ma vieille herse de fer ;
D'effroi votre âme est frappée ;
Vous vous défiez, trompeur ;
Traître et poltron, mon épée
Vous fait honte et vous fait peur.
Vous me faites garder, sire ;
Vous me faites épier
Par tous vos barons de cire
Dans leurs donjons de papier ;
Derrière vos capitaines
Vous tremblez en m'approchant ;
Comme l'eau sort des fontaines,
Le soupçon sort du méchant ;
Votre altesse scélérate
N'aurait pas d'autre façon
Quand je serais un pirate,
Le spectre de l'horizon !
Vous consultez des sorcières
Pour que je meure bientôt ;
Vous cherchez dans mes poussières
De quoi faire un échafaud ;
Vous rêvez quelque équipée ;
Vous dites bas au bourreau
Que, lorsqu'un homme est épée,
Le sépulcre est le fourreau ;
Votre habileté subtile
Me guette à tous les instants ;
Eh bien ! c'est peine inutile
Et vous perdez votre temps ;
Vos précautions sont vaines ;
Pourquoi ? je le dis à tous :
C'est que le sang de mes veines
N'est pas à moi, mais à vous.
Quoique vous soyez un prince
Vil, on ne peut le nier,
Le premier de la province,
De la vertu le dernier ;
Quoique à ta vue on se sauve,
Seigneur ; quoique vous ayez
Des allures de loup fauve
Dans des chemins non frayés ;
Quoiqu'on ait pour récompense
La haine de vos bandits ;
Et malgré ce que je pense,
Et malgré ce que je dis,
Roi, devant vous je me courbe,
Raillé par votre bouffon ;
Le loyal devant le fourbe,
L'acier devant le chiffon ;
Devant vous, fuyard, s'efface
Le Cid, l'homme sans effroi.
Que voulez-vous que j'y fasse
Puisque vous êtes le roi !