LE CID EST LE CID.
Don Sanche, une source coule
À l'ombre de mes donjons ;
Comme le Cid dans la foule
Elle est pure dans les joncs.
Je n'ai pas d'autre vignoble ;
Buvez-y ; je vous absous.
Autant que vous je suis noble
Et chevalier plus que vous.
Les savants, ces prêcheurs mornes,
Sire, ont souvent pour refrains
Qu'un trône même a des bornes
Et qu'un roi même a des freins ;
De quelque nom qu'il se nomme,
Nul n'est roi sous le ciel bleu
Plus qu'il n'est permis à l'homme
Et qu'il ne convient à Dieu ;
Mais pour marquer la limite
Il faudrait étudier ;
Il faudrait être un ermite
Ou bien un contrebandier.
Moi, ce n'est pas mon affaire ;
Je ne veux rien vous ôter ;
Étant le Cid, je préfère
Obéir à disputer.
Accablez nos sombres têtes
De désespoir et d'ennuis,
Roi, restez ce que vous êtes ;
Je reste ce que je suis.
J'ai toujours, seul dans ma sphère,
Souffert qu'on me dénigrât.
Je n'ai pas de compte à faire
Avec le roi, mon ingrat.
Je t'ai, depuis que j'existe,
Donné Jaen, Balbastro,
Et Valence, et la mer triste
Qui fait le bruit d'un taureau,
Et Zamora, rude tâche,
Huesca, Jaca, Teruel,
Et Murcie où tu fus lâche,
Et Vich où tu fus cruel,
Et Lerme et ses sycomores,
Et Tarragone et ses tours,
Et tous les ans des rois mores,
Et le grand Cid tous les jours !
Nos deux noms iront ensemble
Jusqu'à nos derniers neveux.
Souviens-t-en, si bon te semble ;
N'y songe plus, si tu veux.
Je baisse mes yeux, j'en ôte
Tout regard audacieux ;
Entrez sans peur, roi mon hôte ;
Car il n'est qu'un astre aux cieux !
Cet astre de la nuit noire,
Roi, ce n'est pas le bonheur,
Ni l'amour, ni la victoire,
Ni la force ; c'est l'honneur.
Et moi qui sur mon armure
Ramasse mes blancs cheveux,
Moi sur qui le soir murmure,
Moi qui vais mourir, je veux
Que, le jour où sous son voile
Chimène prendra le deuil,
On allume à cette étoile
Le cierge de mon cercueil.
*
Ainsi le Cid, qui harangue
Sans peur ni rébellion,
Lèche son maître, et sa langue
Est rude, étant d'un lion.