POUR LES OISEAUX.
À l'heure où le soleil descend tiède et pâli,
Seul à seul, près du bois de Saint-Jean-d'Angely,
L'archevêque Bertrand parlait au roi Philippe :
- Roi, le trône et l'autel sont le même principe ;
Défendons-nous ensemble ; il faut de tous côtés
Du front du peuple obscur chasser les nouveautés.
Sauver l'Église, ô roi, c'est vous sauver vous-même.
L'État devient plus fort par la terreur qu'il sème,
Et par le tremblement du peuple s'affermit ;
Toujours, quand elle eut peur, la foule se soumit.
Il n'est qu'un droit : régner. Le nécessaire est juste.
Les quatre grands baillis du roi Philippe-Auguste,
Toutes les vieilles lois, c'est trop peu désormais ;
Pour arrêter le mal, sur de hautains sommets,
Il faut la permanence étrange de l'exemple ;
Sire, les schismes vont à l'attaque du temple ;
Le peuple semble las d'être sur les genoux ;
La révolte est sur vous, l'hérésie est sur nous ;
D'où viennent ces essaims tumultueux d'idées ?
Des profondeurs que nul prophète n'a sondées,
Peut-être de la nuit, ou peut-être du ciel.
Parlons bas. Écoutez, roi providentiel.
Rien n'est plus effrayant que ces sombres descentes
D'instincts nouveaux parmi les foules frémissantes ;
Ces chimères d'en haut s'abattant tout à coup
Volent, courent, s'en vont, reviennent, sont partout,
Ouvrent les yeux fermés, fouillent les têtes pleines,
Se mêlent aux esprits, se mêlent aux haleines,
Blessent les dogmes saints dans l'ombre, et, fatal jeu,
Frappent l'homme endormi de mille becs de feu ;
Elles tentent, troublant le mystère où nous sommes,
Un travail inconnu sur le cerveau des hommes,
Leur ôtant quelque chose et leur donnant aussi ;
Quoi ? c'est là votre perte et c'est là mon souci.
Que font-elles ? du jour, du mal ? Qu'apportent-elles ?
Un souffle, un bruit, le vent qui tombe de leurs ailes ;
Je l'ignore ; ici Dieu m'échappe ; mais je sai
Qu'il ne nous reste rien quand elles ont passé.
Le roi Philippe écoute, et l'archevêque songe,
Et vers la papauté son bras pensif s'allonge.
- Chassez les nouveautés, roi Philippe.
En marchant,
Tous deux rêveurs, ils sont arrivés près d'un champ
Qu'emplit de son frisson toute une moisson mûre ;
Au-dessus des épis jetant un long murmure,
Sous de hauts échalas plantés parmi les blés,
Flottent, mouillés de pluie et de soleil brûlés,
À des cordes que l'air pousse, éloigne et ramène,
De hideux sacs de paille ayant la forme humaine ;
Noeuds de débris sans nom, lambeaux fous, balançant
On ne sait quel aspect farouche et menaçant ;
Les oiseaux, les moineaux que le blé d'or invite,
L'alouette criant aux autres : Vite ! vite !
Accourent vers le champ plein d'épis ; mais, au vent,
Chaque haillon devient lugubrement vivant,
Et tout l'essaim chantant s'effraie et se dissipe.
- Quel est donc le moyen de régner ? dit Philippe.
Comme le roi parlait, l'archevêque pieux
Vit ce champ, hérissé de poteaux et de pieux
Où pendaient, à des fils tremblant quand l'air s'agite,
Des larves qui mettaient tous les oiseaux en fuite.
Et, le montrant au roi, Bertrand dit : Le voici.