Du reste, comme il faut des héros pour la guerre,
Le roi cassant le Cid, a trouvé bon d'en faire :
Il en a fait. L'Espagne a des hommes nouveaux.
Alvar Rambla, le duc Nuno Saz y Calvos,
Don Gil, voilà les noms dont la foule s'effare ;
Ils sont dans la lumière, ils sont dans la fanfare ;
Leur moindre geste s'enfle au niveau des exploits ;
Et, dans leur antichambre, on entend quelquefois
Les pages, d'une voix féminine et hautaine,
Dire : - Ah oui-da, le Cid ! C'était un capitaine
D'alors. Vit-il encor, ce Campéador-là ?
Le Cid n'existe plus auprès d'Alvar Rambla ;
Gil, plus grand que le Cid, dans son ombre le cache ;
Nuno Saz engloutit le Cid sous son panache ;
Sur Achille tombé les myrmidons ont crû ;
Et du siècle du Cid le Cid a disparu.
L'exil, est-ce l'oubli vraiment ? une mémoire
Qu'un prince étouffe, est-elle éteinte pour la gloire ?
Est-ce à jamais qu'Alvar, Nuno, Gil, nains heureux,
Éclipsent le grand Cid exilé derrière eux ?
Quand le voyageur sort d'Oyarzun, il s'étonne,
Il regarde, il ne voit, sous le noir ciel qui tonne,
Que le mont d'Oyarzun, médiocre et pelé :
- Mais ce Pic du Midi dont on m'avait parlé,
Où donc est-il ? Ce Pic, le plus haut des Espagnes,
N'existe point. S'il m'est caché par ces montagnes,
Il n'est pas grand. Un peu d'ombre l'anéantit. -
Cela dit, il s'en va, point fâché, lui petit,
Que ce mont qu'on disait si haut ne soit qu'un rêve.
Il marche, la nuit vient, puis l'aurore se lève,
Le voyageur repart, son bâton à la main,
Et songe, et va disant tout le long du chemin :
- Bah ! s'il existe un Pic du Midi, que je meure !
La montagne Oyarzun est belle, à la bonne heure ! -
Laissant derrière lui hameaux, clochers et tours,
Villes et bois, il marche un jour, deux jours, trois jours ;
- Le genre humain dirait trois siècles ; - il s'enfonce
Dans la lande à travers la bruyère et la ronce ;
Enfin, par hasard, las, inattentif, distrait,
Il se tourne, et voici qu'à ses yeux reparaît,
Comme un songe revient confus à la pensée,
La plaine dont il sort et qu'il a traversée,
L'église et la forêt, le puits et le gazon ;
Soudain, presque tremblant, là-bas, sur l'horizon
Que le soir teint de pourpre et le matin d'opale,
Dans un éloignement mystérieux et pâle,
Au-delà de la ville et du fleuve, au-dessus
D'un tas de petits monts sous la brume aperçus
Où se perd Oyarzun avec sa butte informe,
Il voit dans la nuée une figure énorme ;
Un mont blême et terrible emplit le fond des cieux ;
Un pignon de l'abîme, un bloc prodigieux
Se dresse, aux lieux profonds mêlant les lieux sublimes,
Sombre apparition de gouffres et de cîmes,
Il est là ; le regard croit sous son porche obscur
Voir le noeud monstrueux de l'ombre et de l'azur,
Et son faîte est un toit sans brouillard et sans voile,
Où ne peut se poser d'autre oiseau que l'étoile ;
C'est le Pic du Midi.
L'histoire voit le Cid.