PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) le temple d'Ephèse

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James
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Victor HUGO (1802-1885)  le temple d'Ephèse  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) le temple d'Ephèse    Victor HUGO (1802-1885)  le temple d'Ephèse  Icon_minitimeDim 25 Sep - 17:42

LE TEMPLE D'ÉPHÈSE

Et l'une de ces voix, c'était la voix d'un temple,
Disait :

- Admirez-moi ! Qui que tu sois, contemple ;
Qui que tu sois, regarde et médite, et reçois
À genoux mon rayon sacré, qui que tu sois ;
Car l'idéal est fait d'une étoile, et rayonne ;
Et je suis l'idéal. Troie, Argos, Sicyone,
Ne sont rien près d'éphèse, et l'envieront toujours,
Ô peuple, éphèse ayant mon ombre sur ses tours.
Éphèse heureuse dit : « Si j'étais Delphe ou Thèbe,
« On verrait flamboyer sur mes dômes l'érèbe,
« Mes oracles feraient les hommes soucieux ;
« Si j'étais Cos, j'irais forgeant les durs essieux ;
« Si j'étais Tentyris, sombre ville du rêve,
« Mes pâtres, fronts sacrés en qui le ciel se lève,
« Regarderaient, à l'heure où naît le jour riant,
« Les constellations, penchant sur l'Orient,
« Verser dans l'infini leurs chariots pleins d'astres ;
« Si j'étais Bactria, j'aurais des Zoroastres ;
« Si j'étais Olympie en Élide, mes jeux
« Montreraient une palme aux lutteurs courageux,
« Les devins combattraient chez moi les astronomes,
« Et mes courses, rendant les dieux jaloux des hommes,
« Essouffleraient le vent à suivre Coroebus ; -
« Mais à quoi bon chercher tant d'inutiles buts,
« Ayant, que l'aube éclate ou que le soir décline,
« Ce temple ionien debout sur ma colline,
« Et pouvant faire dire à la terre : c'est beau ! »
Et ma ville a raison. Ainsi qu'un escabeau
Devant un trône, ainsi devant moi disparaissent
Les Parthénons fameux que les rayons caressent ;
Ils sont l'effort, je suis le miracle.

À celui
Qui ne m'a jamais vu, le jour n'a jamais lui.
Ma tranquille blancheur fait venir les colombes ;
Le monde entier me fête, et couvre d'hécatombes,
Et de rois inclinés, et de mages pensifs,
Mes grands perrons de jaspe aux clous d'argent massifs.
L'homme élève vers moi ses mains universelles.
Les éphèbes, portant de sonores crécelles,
Dansent sur mes parvis, jeunes fronts inégaux ;
Sous ma porte est la pierre où Deuxippe d'Argos
S'asseyait, et d'Orphée expliquait les passages ;
Mon vestibule sert de promenade aux sages,
Parlant, causant, avec des gestes familiers,
Tour à tour blancs et noirs dans l'ombre des piliers.

Corinthe en me voyant pleure, et l'art ionique
Me revêt de sa pure et sereine tunique.
Le mont porte en triomphe à son sommet hautain
L'épanouissement glorieux du matin,
Mais ma beauté n'est point par la sienne éclipsée,
Car le soleil n'est pas plus grand que la pensée ;
Ce que j'étais hier, je le serai demain ;
Je vis, j'ai sur mon front, siècles, l'esprit humain,
Et le génie, et l'art, ces égaux de l'aurore.

La pierre est dans la terre ; âpre et froide, elle ignore ;
Le granit est la brute informe de la nuit,
L'albâtre ne sait pas que l'aube existe et luit,
Le porphyre est aveugle et le marbre est stupide ;
Mais que Ctésiphon passe, ou Dédale, ou Chrespide,
Qu'il fixe ses yeux pleins d'un divin flamboiement
Sur le sol où les rocs dorment profondément,
Tout s'éveille ; un frisson fait remuer la pierre ;
Lourd, ouvrant on ne sait quelle trouble paupière,
Le granit cherche à voir son maître, le rocher
Sent la statue en lui frémir et s'ébaucher,
Le marbre obscur s'émeut dans la nuit infinie
Sous la parenté sombre et sainte du génie,
Et l'albâtre enfoui ne veut plus être noir ;
Le sol tressaille, il sent là-haut l'homme vouloir ;
Et voilà que, sous l'oeil de ce passant qui crée,
Des sourdes profondeurs de la terre sacrée,
Tout à coup, étageant ses murs, ses escaliers,
Sa façade et ses rangs d'arches et de piliers,
Fier, blanchissant, cherchant le ciel avec sa cime,
Monte et sort lentement l'édifice sublime,
Composé de la terre et de l'homme, unissant
Ce que dans sa racine a le chêne puissant
Et ce que rêve Euclide aidé de Praxitèle,
Mêlant l'éternel bloc à l'idée immortelle !

Mon frontispice appuie au calme entablement
Ses deux plans lumineux inclinés mollement,
Si doux qu'ils semblent faits pour coucher des déesses ;
Parfois, comme un sein nu sous l'or des blondes tresses,
Je me cache parmi les nuages d'azur ;
Trois sculpteurs sur ma frise, un volsque, Albus d'Anxur,
Un mède, Ajax de Suze, un grec, Phtos de Mégare,
Ont ciselé les monts où la meute s'égare,
Et la pudeur sauvage, et les dieux de la paix,
Des Triptolèmes nus parmi les blés épais,
Et des Cérès foulant sous leurs pieds des Bellones ;
Cent-vingt-sept rois ont fait mes cent vingt-sept colonnes ;
Je suis l'art radieux, saint, jamais abattu ;
Ma symétrie auguste est soeur de la vertu ;
Mon resplendissement couvre toute la Grèce ;
Le rocher qui me porte est rempli d'allégresse,
Et la ville à mes pieds adore avec ferveur ;
Sparte a reçu sa loi de Lycurgue rêveur,
Mantinée a reçu sa loi de Nicodore,
Athènes, qu'un reflet de divinité dore,
De Solon, grand pasteur des hommes convaincus,
La Crète de Minos, Locres de Séleucus,
Moi, le temple, je suis législateur d'Éphèse ;
Le peuple en me voyant comprend l'ordre et s'apaise ;
Mes degrés sont les mots d'un code, mon fronton
Pense comme Thalès, parle comme Platon,
Mon portique serein, pour l'âme qui sait lire,
A la vibration pensive d'une lyre,
Mon péristyle semble un précepte des cieux ;
Toute loi vraie étant un rhythme harmonieux,
Nul homme ne me voit sans qu'un dieu l'avertisse ;
Mon austère équilibre enseigne la justice ;
Je suis la vérité bâtie en marbre blanc ;
Le beau, c'est, ô mortels, le vrai plus ressemblant ;
Venez donc à moi, foule, et, sur mes saintes marches,
Mêlez vos coeurs, jetez vos lois, posez vos arches ;
Hommes, devenez tous frères en admirant ;
Réconciliez-vous devant le pur, le grand,
Le chaste, le divin, le saint, l'impérissable ;
Car, ainsi que l'eau coule et comme fuit le sable,
Les ans passent, mais moi je demeure ; je suis
Le blanc palais de l'aube et l'autel noir des nuits ;
Quand l'aurore apparaît, je ris, doux édifice ;
Le soir, l'horreur m'emplit ; un sombre sacrifice
Semble en mes profondeurs muettes s'apprêter ;
De derrière mon faîte, on voit la nuit monter
Ainsi qu'une fumée avec mille étincelles.
Tous les oiseaux de l'air m'effleurent de leurs ailes,
Hirondelles, faisans, cigognes au long cou ;
Mon fronton n'a pas plus la crainte du hibou
Que Calliope n'a la crainte de Minerve.
Tous ceux que Sybaris voluptueuse énerve
N'ont qu'à franchir mon seuil d'austérité vêtu
Pour renaître, étonnés, à la forte vertu ;
Sous ma crypte en entend chuchoter la sibylle ;
Parfois, troublé soudain dans sa brume immobile,
Le plafond, où des mots de l'ombre sont écrits,
Tremble à l'explosion tragique de ses cris ;
Sur ma paroi secrète et terrible, l'augure
Du souriant Olympe entrevoit la figure,
Et voit des mouvements confus et radieux
De visages qui sont les visages des dieux ;
De vagues aboiements sous ma voûte se mêlent ;
Et des voix de passants invisibles s'appellent ;
Et le prêtre, épiant mon redoutable mur,
Croit par moments qu'au fond du sanctuaire obscur,
Assise près d'un chien qui sous ses pieds se couche,
La grande chasseresse, éclatante et farouche,
Songe, ayant dans les yeux la lueur des forêts.
Ô temps, je te défie. Est-ce que tu pourrais
Quelque chose sur moi, l'édifice suprême ?
Un siècle sur un siècle accroît mon diadème ;
J'entends autour de moi les peuples s'écrier :
Tu nous fais admirer et tu nous fais prier ;
Nos fils t'adoreront comme nous t'adorâmes,
Chef-d'oeuvre pour les yeux et temple pour les Âmes !

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
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