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 Victor HUGO (1802-1885) Dans la forêt

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Dans la forêt  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Dans la forêt    Victor HUGO (1802-1885) Dans la forêt  Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:00

Dans la forêt

Quelqu'un qui s'y serait perdu ce soir, verrait
Quelque chose d'étrange au fond de la forêt;
C'est une grande salle éclairée et déserte.
Où? Dans l'ancien manoir de Corbus.

L'herbe verte,
Le lierre, le chiendent, l'églantier sauvageon,
Font, depuis trois cents ans, l'assaut de ce donjon;
Le burg, sous cette abjecte et rampante escalade,
Meurt, comme sous la lèpre un sanglier malade;
Il tombe; les fossés s'emplissent des créneaux;
La ronce, ce serpent, tord sur lui ses anneaux;
Le moineau franc, sans même entendre ses murmures,
Sur ses vieux pierriers morts vient becqueter les mûres;
L'épine sur son deuil prospère insolemment;
Mais, l'hiver, il se venge; alors, le burg dormant
S'éveille, et, quand il pleut pendant des nuits entières,
Quand l'eau glisse des toits et s'engouffre aux gouttières,
Il rend grâce à l'ondée, aux vents, et, content d'eux,
Profite, pour cracher sur le lierre hideux,
Des bouches de granit de ses quatre gargouilles.

Le burg est aux lichens comme le glaive aux rouilles;
Hélas! et Corbus, triste, agonise. Pourtant
L'hiver lui plaît; l'hiver, sauvage combattant,
Il se refait, avec les convulsions sombres
Des nuages hagards croulant sur ses décombres,
Avec l'éclair qui frappe et fuit comme un larron,
Avec les souffles noirs qui sonnent du clairon,
Une sorte de vie effrayante, à sa taille;
La tempête est la soeur fauve de la bataille;
Et le puissant donjon, féroce, échevelé,
Dit: Me voilà! sitôt que la bise a sifflé;
Il rit quand l'équinoxe irrité le querelle
Sinistrement, avec son haleine de grêle;
Il est joyeux, ce burg, soldat encor debout,
Quand, jappant comme un chien poursuivi par un loup,
Novembre, dans la brume errant de roche en roche,
Répond au hurlement de Janvier qui s'approche.
Le donjon crie: -En guerre! ô tourmente, es-tu là?-
Il craint peu l'ouragan, lui qui vit Attila.
Oh! les lugubres nuits! Combat dans la bruine!
La nuée attaquant, farouche, la ruine!
Un ruissellement vaste, affreux, torrentiel,
Descend des profondeurs furieuses du ciel;
Le burg brave la nue; on entend les gorgones
Aboyer aux huit coins de ses tours octogones;
Tous les monstres sculptés sur l'édifice épars,
Grondent, et les lions de pierre des remparts
Mordent la brume, l'air et l'onde, et les tarasques
Battent de l'aile au souffle horrible des bourrasques;
L'âpre averse en fuyant vomit sur les griffons;
Et, sous la pluie entrant par les trous des plafonds,
Les guivres, les dragons, les méduses, les drées,
Grincent des dents au fond des chambres effondrées;
Le château de granit, pareil au preux de fer,
Lutte toute la nuit, résiste tout l'hiver;
En vain le ciel s'essouffle, en vain Janvier se rue;
En vain tous les passants de cette sombre rue
Qu'on nomme l'infini, l'ombre et l'immensité,
Le tourbillon, d'un fouet invisible hâté,
Le tonnerre, la trombe où le typhon se dresse,
S'acharnent sur la fière et haute forteresse;
L'orage la secoue en vain comme un fruit mûr;
Les vents perdent leur peine à guerroyer ce mur,
Le Fôhn bruyant s'y lasse, et sur cette cuirasse
L'Aquilon s'époumonne et l'Autan se harasse,
Et tous ces noirs chevaux de l'air sortent fourbus
De leur bataille avec le donjon de Corbus.

Aussi, malgré la ronce et le chardon et l'herbe,
Le vieux burg est resté triomphal et superbe;
Il est comme un pontife au coeur du bois profond;
Sa tour lui met trois rangs de créneaux sur le front;
Le soir, sa silhouette immense se découpe;
Il a pour trône un roc, haute et sublime croupe;
Et, par les quatre coins, sud, nord, couchant, levant,
Quatre monts, Crobius, Bléda, géants du vent,
Aptar où croît le pin, Toxis que verdit l'orme,
Soutiennent au-dessus de sa tiare énorme
Les nuages, ce dais livide de la nuit.

Le pâtre a peur, et croit que cette tour le suit;
Les superstitions ont fait Corbus terrible;
On dit que l'Archer Noir a pris ce burg pour cible,
Et que sa cave est l'antre où dort le Grand Dormant;
Car les gens des hameaux tremblent facilement;
Les légendes toujours mêlent quelque fantôme
A l'obscure vapeur qui sort des toits de chaume,
L'âtre enfante le rêve, et l'on voit ondoyer
L'effroi dans la fumée errante du foyer.

Aussi, le paysan rend grâce à sa roture
Qui le dispense, lui, d'audace et d'aventure,
Et lui permet de fuir ce burg de la forêt
Qu'un preux, par point d'honneur belliqueux, chercherait.

Corbus voit rarement au loin passer un homme.
Seulement, tous les quinze ou vingt ans, l'économe
Et l'huissier du palais, avec des cuisiniers
Portant tout un festin dans de larges paniers,
Viennent, font des apprêts mystérieux, et partent;
Et, le soir, à travers les branches qui s'écartent,
On voit de la lumière au fond du burg noirci;
Et nul n'ose approcher. Et pourquoi? Le voici:

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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