PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Le premier sphinx

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Le premier sphinx  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Le premier sphinx    Victor HUGO (1802-1885) Le premier sphinx  Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:11

LE PREMIER SPHINX

La reine Nitocris, près du clair firmament,
Habite le tombeau de la haute terrasse;
Elle est seule, elle est triste; elle songe à sa race,
A tous ces rois, terreur des Grecs et des Hébreux,
Durs, sanglants, et sortis de son flanc ténébreux;
Au milieu de l'azur son sépulcre est farouche;
Les oiseaux tombent morts quand leur aile le touche;
Et la reine est muette et les nuages font
Sur son royal silence un bruit sombre et profond.
Selon l'antique loi, nul vivant, s'il ne porte
Sur sa tête un corps mort, ne peut franchir la porte
Du tombeau, plein d'enfer et d'horreur pénétré.
La reine ouvre les yeux la nuit; le ciel sacré
Apparaît à la morte à travers les pilastres;
Son oeil sinistre et fixe importune les astres;
Et jusqu'à l'aube, autour de os de Nitocris,
Un flot de spectres passe avec de vagues cris.

LE DEUXIÈME SPHINX

Si grands que soient les rois, les pharaons, les mages
Qu'entoure une nuée éternelle d'hommages,
Personne n'est plus haut que Téglath-Phalasar.
Comme Dieu même, à qui l'étoile sert de char,
Il a son temple avec un prophète pour prêtre;
Ses yeux semblent de pourpre, étant les yeux du maître;
Tout tremble; et, sous son joug redouté, le héros
Tient les peuples courbés ainsi que des taureaux;
Pour les villes d'Assur que son pas met en cendre,
Il est ce que sera pour l'Asie Alexandre,
Il est ce que sera pour l'Europe Attila;
Il triomphe, il rayonne; et, pendant ce temps-là,
Sans savoir qu'à ses pieds toute la terre tombe,
Pour le mur qui sera la cloison de sa tombe,
Des potiers font sécher de la brique au soleil.

LE TROISIÈME SPHINX

Nemrod était un maître aux archanges pareil;
Son nom est sur Babel, LA sublime masure;
Son sceptre altier couvrait l'espace qu'on mesure
De la mer du couchant à la mer du levant;
Baal le fit terrible à tout être vivant
Depuis le ciel sacré jusqu'à l'enfer immonde,
Ayant rempli ses mains de l'empire du monde.
Si l'on eût dit: -Nemrod mourra,- qui l'aurait cru?
Il vivait; maintenant cet homme a disparu.
Le désert est profond et le vent est sonore.

LE QUATRIÈME SPHINX

Chrem fut roi; sa statue était d'or; on ignore
La date de la fonte et le nom du fondeur;
Et nul ne pourrait dire à quelle profondeur
Ni dans quel sombre puits, ce pharaon sévère
Flotte, plongé dans l'huile, en son cercueil de verre.
Les rois triomphent, beaux, fiers, joyeux, courroucés,
Puissants, victorieux; alors Dieu dit: -Assez!-

Le temps, spectre debout sur tout ce qui s'écroule,
Tient et par moments tourne un sablier où coule
Une poudre qu'il a prise dans les tombeaux
Et ramassée aux plis des linceuls en lambeaux,
Et la cendre des morts mesure aux vivants l'heure.

Rois, le sablier tremble et la clepsydre pleure;
Pourquoi? le savez-vous, rois? C'est que chacun d'eux
Voit au delà de vous, ô princes hasardeux,
Le dedans du sépulcre et de la catacombe,
Et la forme que prend le trône dans la tombe.

LE CINQUIÈME SPHINX

Les quatre conquérants de l'Asie étaient grands;
Leurs colères roulaient ainsi que des torrents;
Quand ils marchaient, la terre oscillait sur son axe;
Thuras tenait le Phase, Ochus avait L'Araxe,
Gour la Perse, et le roi fatal, Phul-Bélézys,
Sur l'Inde monstrueuse et triste était assis;
Quand Cyrus les lia tous quatre à son quadrige,
L'Euphrate eut peur; Ninive, en voyant ce prodige,
Disait: -Quel est ce char étrange et radieux
Que traîne un formidable attelage de dieux?-
Ainsi parlait le peuple, ainsi parlait l'armée;
Tout s'est évanoui, puisque tout est fumée.

LE SIXIÈME SPHINX

Cambyse ne fait plus un mouvement; il dort;
Il dort sans même voir qu'il pourrit; il est mort.
Tant que vivent les rois, la foule est à plat ventre;
On les contemple, on trouve admirable leur antre;
Mais, sitôt qu'ils sont morts, ils deviennent hideux,
Et n'ont plus que les vers pour ramper autour d'eux.
Oh! de Troie à Memphis, et d'Ecbatane à Tarse,
La grande catastrophe éternelle est éparse
Avec Pyrrhus le grand, avec Psamméticus!
Les rois vainqueurs sont morts plus que les rois vaincus;
Car la mort rit, et fait, quand sur l'homme elle monte,
Plus de nuit sur la gloire, hélas! que sur la honte.

LE SEPTIÈME SPHINX

La tombe où l'on a mis Bélus croule au désert;
Ruine, elle a perdu son mur de granit vert,
Et sa coupole, soeur du ciel, splendide et ronde;
Le pâtre y vient choisir des pierres pour sa fronde;
Celui qui, le soir, passe en ce lugubre champ
Entend le bruit que fait le chacal en mâchant;
L'ombre en ce lieu s'amasse et la nuit est là toute;
Le voyageur, tâtant de son bâtant la voûte,
Crie en vain: -Est-ce ici qu'était le dieu Bélus?-
Le sépulcre est si vieux qu'il ne s'en souvient plus.

LE HUITIÈME SPHINX

Aménophis, Ephrée et Cherbron sont funèbres;
Rhamsès est devenu tout noir dans les ténèbres;
Les satrapes s'en vont dans l'ombre, ils s'en vont tous;
L'ombre n'a pas besoin de clefs ni de verrous,
L'ombre est forte. La mort est la grande geôlière;
Elle manie un dieu d'une main familière,
Et l'enferme; les rois sont ses noirs prisonniers;
Elle tient les premiers, elle tient les derniers;
Dans une gaîne étroite elle a roidi leurs membres;
Elle les a couchés dans de lugubres chambres
Entre des murs bâtis de cailloux et de chaux;
Et, pour qu'ils restent seuls dans ces blêmes cachots,
Méditant sur leurs sceptre et sur leur aventure,
Elle a pris de la terre et bouché l'ouverture.

LE NEUVIÈME SPHINX

Passants, quelqu'un veut-il voir Cléopâtre au lit?
Venez; l'alcôve est morne, une brume l'emplit;
Cléopâtre est couchée à jamais; cette femme
Fut l'éblouissement de l'Asie et la flamme
Que tout le genre humain avait dans le regard;
Quand elle disparut, le monde fut hagard;
Ses dents étaient de perle et sa bouche était d'ambre;
Les rois mouraient d'amour en entrant dans sa chambre;
Pour elle Ephractaeus soumit l'Atlas, Sapor
Vint d'Osymandias saisir le cercle d'or,
Mamylos conquit Suse et Tentyris détruite,
Et Palmyre, et pour elle Antoine prit la fuite;
Entre elle et l'univers qui s'offraient à la fois
Il hésita, lâchant le monde de son choix.
Cléopâtre égalait les Junons éternelles;
Une chaîne sortait de ses vagues prunelles;
O tremblant coeur humain, si jamais tu vibras,
C'est dans l'étreinte altière et douce de ses bras;
Son nom seul enivrait; Strophus n'osait l'écrire;
La terre s'éclairait de son divin sourire,
A force de lumière et d'amour, effrayant;
Son corps semblait mêlé d'azur; en la voyant,
Vénus, le soir, rentrait jalouse sous la nue;
Cléopâtre embaumait l'Égypte; toute nue,
Elle brûlait les yeux ainsi que le soleil;
Les roses enviaient l'ongle de son orteil;
O vivants, allez voir sa tombe souveraine;
Fière, elle était déesse et daignait être reine;
L'amour prenait pour arc sa lèvre aux coins moqueurs;
Sa beauté rendait fous les fronts, les sens, les coeurs,
Et plus que les lions rugissants était forte;
Mais bouchez-vous le nez si vous passez la porte.

LE DIXIÈME SPHINX

Que fait Sennachérib, roi plus grand que le sort?
Le roi Sennachérib fait ceci qu'il est mort.
Que fait Gad? Il est mort. Que fait Sardanapale?
Il est mort.

*

Le sultan écoutait, morne et pâle.
-Voilà de sombres voix, dit-il; et je ferai
Dès demain jeter bas ce palais effaré
Où le démon répond quand on s'adresse aux anges.-

Il menaça du poing les sphinx aux yeux étranges.

*

Et son regard tomba sur la coupe où brillait
Le vin semé de sauge et de feuilles d'oeillet.

-Ah! toi, tu sais calmer ma tête fatiguée;
Viens, ma coupe, dit-il. Ris, parle-moi, sois gaie.
Chasse de mon esprit ces nuages hideux.
Moi, le pouvoir, et toi, le vin, causons tous deux.-

La coupe étincelante, embaumée et fleurie,
Lui dit:

-Phur, roi soleil, avait Alexandrie;
Il levait au-dessus de la mer son cimier;
Il tirait se son temple orageux, le premier
D'Afrique après Carthage et du monde après Rome,
Des soldats plus nombreux que les rêves que l'homme
Voit dans la transparence obscure du sommeil;
Mais à quoi bon avoir été l'homme soleil?
Puisqu'on est le néant, que sert d'être le maître?
Que sert d'être calife ou mage? A quoi bon être
Un de ces pharaons, ébauches de sultans,
Qui, dans la profondeur ténébreuse des temps,
Jettent la lueur vague et sombre de leurs mîtres?
A quoi bon être Arsès, Darius, Armamithres,
Cyaxare, Séthos, Dardanus, Dercylas,
Xercès, Nabonassar, Asar-addon, hélas!
On a des légions qu'à la guerre on exerce;
On est Antiochus, Chosroès, Artaxerce,
Sésostris, Annibal, Astyage, Sylla,
Achille, Omar, César, on meurt, sachez cela.
Ils étaient dans le bruit, ils sont dans le silence.
Vivants, quand le trépas sur un de vous s'élance,
Tout homme, quel qu'il soit, meurt tremblant; mais le roi
Du haut de plus d'orgueil tombe dans plus d'effroi;
Cet esprit plus noir trouve un juge plus farouche;
Pendant que l'âme fuit, le cadavre se couche,
Et se sent sous la terre opprimer et chercher
Par la griffe de l'arbre et le poids du rocher;
L'orfraie à son côté se tapit défiante;
Qu'est-ce qu'un sultan mort? Les taupes font leur fiente
Dans de la cendre à qui l'empire fut donné,
Et dans des ossements qui jadis ont régné;
Et les tombeaux des rois sont des trous à panthère.-

Zim, furieux, brisa la coupe contre terre.

*

Pour éclairer la salle, on avait apporté
Au centre de la table un flambeau d'or sculpté
A Sumatra, pays des orfèvres célèbres;
Cette lampe splendide étoilait les ténèbres.

Zim lui parla:

-Voilà de la lumière au moins!
Les sphinx sont de la nuit les funèbres témoins;
La coupe, étant toujours ivre, est à peu près folle;
Mais, toi, flambeau, tu vis dans ta claire auréole;
Tu jettes aux banquets un regard souriant;
O lampe, où tu parais tu fais un orient;
Quand tu parles, ta voix doit être un chant d'aurore;
Dis-moi quelque chanson divine que j'ignore,
Parle-moi, ravis-moi, lampe du paradis!
Qua la coupe et les sphinx monstrueux soient maudits;
Car les sphinx ont l'oeil faux, la coupe à le vin traître.-

Et la lampe parla sur cet ordre du maître:

-Après avoir eu Tyr, Babylone, Ilion,
Et pris Delphe à Thésée et l'Athos au lion,
Conquis Thèbe, et soumis le Gange tributaire,
Ninus le fratricide est perdu sous la terre;
Il est muré, selon le rite assyrien,
Dans u trou formidable où l'on ne voit plus rien.
Où? Qui le sait? Les puits sont noirs, la terre est creuse.
L'homme est devenu spectre. A travers l'ombre affreuse,
Si le regard de ceux qui sont vivants pouvait
Percer jusqu'au lit triste au lugubre chevet
Où gît ce roi, jadis éclair dans la tempête,
On verrait, à côté de ce qui fut sa tête,
Un vase de grès rouge, un doigt de marbre blanc;
Adam le trouverait à Caïn ressemblant.
La vipère frémit quand elle s'aventure
Jusqu'à cette effrayante et sombre pourriture;
Il est gisant; il dort; peut-être qu'il attend.

Par moments, la Mort vient dans sa tombe, apportant
Une cruche et du pain qu'elle dépose à terre;
Elle pousse du pied le dormeur solitaire,
Et lui dit: -Me voici, Ninus. Réveille-toi.
Je t'apporte à manger. Tu dois avoir faim, roi.
Prends. Je n'ai plus de mains, répond le roi farouche.
Allons, mange.- Et Ninus dit: -Je n'ai plus de bouche.-
Et la Mort, lui montrant le pain, dit: -Fils des dieux,
Vois ce pain.- Et Ninus répond: -Je n'ai plus d'yeux.-

*

Zim se dressa terrible, et, sur les dalles sombres
Que le festin couvrait de ses joyeux décombres,
Jeta la lampe d'or sculptée à Sumatra.
La lampe s'éteignit.

Alors la Nuit entra;
Et Zim se trouva seul avec elle; la salle,
Comme en une fumée obscure et colossale,
S'effaça; Zim tremblait, sans gardes, sans soutiens:
La Nuit lui prit la main dans l'ombre, et lui dit: Viens.

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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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