PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul

Aller en bas 
AuteurMessage
James
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
James


Masculin
Dragon
Nombre de messages : 152378
Age : 60
Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières
Date d'inscription : 04/09/2007

Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul    Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Icon_minitimeDim 25 Sep 2011 - 18:34

Ratbert rend l'enfant à l'aïeul

Et voici qu'on entend comme un souffle d'horreur
Frémir, même en cette ombre et même en cette horde.
Une civière passe, il y pend une corde ;
Un linceul la recouvre ; on la pose à l'écart ;
On voit deux pieds d'enfant qui sortent du brancard.
Fabrice, comme au vent se renverse un grand arbre,
Tremble, et l'homme de chair sous cet homme de marbre
Reparaît ; et Ratbert fait lever le drap noir.

C'est elle! Isora! pâle, inexprimable à voir,
Étranglée, et sa main crispée, et cela navre,
Tient encore un hochet ; pauvre petit cadavre!

L'aïeul tressaille avec la force d'un géant ;
Formidable, il arrache au brodequin béant
Son pied dont le bourreau vient de briser le pouce ;
Les bras toujours liés, de l'épaule il repousse
Tout ce tas de démons, et va jusqu'à l'enfant,
Et sur ses deux genoux tombe, et son coeur se fend.
Il crie en se roulant sur la petite morte :

-Tuée! ils l'ont tuée! et la place était forte,
Le pont avait sa chaîne et la herse ses poids,
On avait des fourneaux pour le soufre et la poix,
On pouvait mordre avec ses dents le roc farouche,
Se défendre, hurler, lutter, s'emplir la bouche
De feu, de plomb fondu, d'huile, et les leur cracher
A la figure avec les éclats du rocher!
Non! on a dit : -Entrez!- et, par la porte ouverte,
Ils sont entrés! la vie à la mort s'est offerte!
On a livré la place, on n'a point combattu!
Voilà la chose ; elle est toute simple ; ils n'ont eu
Affaire qu'à ce vieux misérable imbécile!
Égorger un enfant, ce n'est pas difficile.
Tout à l'heure, j'étais tranquille, ayant peu vu
Qu'on tuât des enfants, et je disais : -Pourvu
-Qu'Isora vive, eh bien, après cela, qu'importe!-
Mais l'enfant! O mon Dieu! c'est donc vrai qu'elle est morte!
Penser que nous étions là tous deux hier encor!
Elle allait et venait dans un gai rayon d'or ;
Cela jouait toujours, pauvre mouche éphémère!
C'était la petite âme errante de sa mère!
Le soir, elle posait son doux front sur mon sein,
Et dormait... Ah! Brigand! assassin! assassin!-

Il se dressait, et tout tremblait dans le repaire,
Tant c'était la douleur d'un lion et d'un père,
Le deuil, l'horreur, et tant ce sanglot rugissait!

-Et moi qui, ce matin, lui nouais son corset!
Je disais : -Fais-toi belle, enfant!- Je parais l'ange
Pour le spectre! Oh! Ris donc là-bas, femme de fange!
Riez tous! Idiot, en effet, moi qui crois
Qu'on peut se confier aux paroles des rois
Et qu'un hôte n'est pas une bête féroce!
Le roi, les chevaliers, l'évêque avec sa crosse,
Ils sont venus, j'ai dit : -Entrez ;- c'étaient des loups!
Est-ce qu'ils ont marché sur elle avec des clous
Qu'elle est toute meurtrie ? Est-ce qu'ils l'ont battue ?
Et voilà maintenant nos filles qu'on nous tue
Pour voler un vieux casque en vieil or de ducat!
Je voudrais que quelqu'un d'honnête m'expliquât
Cet événement-ci, voilà ma fille morte!
Dire qu'un empereur vient avec une escorte,
Et que des gens nommés Farnèse, Spinola,
Malaspina, Cibo, font de ces choses-là,
Et qu'on se met à cent, à mille, avec ce prêtre,
Ces femmes, pour venir prendre un enfant en traître,
Et que l'enfant est là, mort, et que c'est un jeu ;
C'est à se demander s'il est encore un Dieu,
Et si, demain, après de si lâches désastres,
Quelqu'un osera faire encor lever les astres!
M'avoir assassiné ce petit être-là!
Mais c'est affreux d'avoir à se mettre cela
Dans la tête, que c'est fini, qu'ils l'ont tuée,
Qu'elle est morte! Oh! ce fils de la prostituée,
Ce Ratbert, comme il m'a hideusement trompé!
O Dieu! de quel démon est cet homme échappé ?
Vraiment ! est-ce donc trop espérer que de croire
Qu'on ne va point, par ruse et par trahison noire,
Massacrer des enfants, broyer des orphelins,
Des anges, de clarté céleste encor tout pleins!
Mais c'est qu'elle est là morte, immobile, insensible!
Je n'aurais jamais cru que cela fût possible.
Il faut être le fils de cette infâme Agnès!
Rois! j'avais tort jadis quand je vous épargnais,
Quand, pouvant vous briser au front le diadème,
Je vous lâchais, j'étais un scélérat moi-même,
J'étais un meurtrier d'avoir pitié de vous!
Oui, j'aurais dû vous tordre entre mes serres, tous!
Est-ce qu'il est permis d'aller dans les abîmes
Reculer la limite effroyable des crimes,
De voler, oui, ce sont des vols, de faire un tas
D'abominations, de maux et d'attentats,
De tuer des enfants et de tuer des femmes,
Sous prétexte qu'on fut, parmi les oriflammes
Et les clairons, sacré devant le monde entier
Par Urbain Quatre, pape et fils d'un savetier!
Que voulez-vous qu'on fasse à de tels misérables!
Avoir mis son doigt noir sur ces yeux adorables!
Ce chef-d'oeuvre du Dieu vivant, l'avoir détruit!
Quelle mamelle d'ombre et d'horreur et de nuit,
Dieu juste, a donc été de ce monstre nourrice ?
Un tel homme suffit pour qu'un siècle pourrisse.
Plus de bien ni de mal, plus de droit, plus de lois.
Est-ce que le tonnerre est absent quelquefois ?
Est-ce qu'il n'est pas temps que la foudre se prouve,
Cieux profonds, en broyant ce chien, fils de la louve ?
Oh! sois maudit, maudit, maudit, et sois maudit,
Ratbert, empereur, roi, césar, escroc, bandit!
O grand vainqueur d'enfants de cinq ans! maudits soient
Les pas que font tes pieds, les jours que tes yeux voient,
Et la gueuse qui t'offre en riant son sein nu,
Et ta mère publique, et ton père inconnu!
Terre et cieux! c'est pourtant bien le moins qu'un doux être
Qui joue à notre porte et sous notre fenêtre,
Qui ne fait rien que rire et courir dans les fleurs,
Et qu'emplir de soleil nos pauvres yeux en pleurs,
Ait le droit de jouir de l'aube qui l'enivre,
Puisque les empereurs laissent les forçats vivre,
Et puisque Dieu, témoin des deuils et des horreurs,
Laisse sous le ciel noir vivre les empereurs!-

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Une_pa12Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Plumes19Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Miniat14Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  James_12Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Confes12

Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul  Sceau110
Revenir en haut Aller en bas
https://www.plumedepoesies.org
 
Victor HUGO (1802-1885) Ratbert rend l'enfant à l'aïeul
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Victor HUGO (1802-1885) Ce qui rend la vieillesse auguste et vénérable,
» Victor HUGO (1802-1885) L'âme est partie, on rend le corps à la nature.
» Victor HUGO (1802-1885) C' est à coups de canon qu' on rend le peuple heureux.
» Victor HUGO (1802-1885) C'est à coups de canon qu'on rend le peuple heureux
» Victor HUGO (1802-1885) Hugo Dundas

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: