PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Le deuxième jour rois et peuples

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Le deuxième jour rois et peuples  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Le deuxième jour rois et peuples    Victor HUGO (1802-1885) Le deuxième jour rois et peuples  Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:44

LE DEUXIÈME JOUR

ROIS ET PEUPLES

Vous êtes plusieurs rois ici, j'en suis bien aise.
Donc on peut vous parler en face. Toi, Farnèse,
Rends-nous compte de Parme ; et toi, duc Avellan,
De Montferrat ; et toi, Visconti, de Milan.
Vous avez ces pays ; qu'est-ce que vous en faites ?
L'Italie est heureuse et voit de belles fêtes !
Le duc Sforce est un sbire ; il faudrait qu'on plongeât,
Pour trouver son pareil, plus bas que le goujat ;
Voulez-vous des bandits ? Guiscard vous en procure ;
Strongoni, qui mourut d'une manière obscure
L'an passé, n'avait pas vécu très clairement ;
Craignez Foulque après boire, Alde après un serment ;
Squillaci roue et pend ; Malaspina s'adonne
À mêler la jusquiame avec la belladone ;
Le soir voit arriver joyeux à son festin
Des gens que voit mourir l'oeil pâle du matin.
Si Pandolfe a trouvé quelque part sa patente
De général, pardieu, ce n'est pas dans la tente.
Sixte étrangla Thomond ; Urbin extermina
Montecchi ; le vieux Côme égorgea Gravina ;
Ezzelin est faussaire, Ottobon est bigame ;
Litta fait poignarder dans un bal à Bergame
Bernard Tumapailler, comte de Fezensac ;
Jean massacre Borso ; Pons dérobe le sac
Que Boccanegre avait laissé dans sa gondole ;
Bonacossi sanglant rase la Mirandole ;
Et quant à monsieur d'Este, ah ! tous vos généraux
L'admirent ; quel vainqueur ! L'an passé, ce héros,
Avec force soudards levant la pertuisane,
Partit pour conquérir la marche trévisane ;
On battait du tambour, on jouait du hautbois ;
Un gros de paysans l'attaque au coin d'un bois,
L'armée au premier choc plie, et ce guerrier rare
Prit la fuite, et revint en chemise à Ferrare
Après avoir été volé dans le chemin.
Guy tue Alphonse afin d'être comte romain ;
Le duc Fosdinovo vend Nice au barbaresque ;
Spinetta se fait peindre ayant, dans une fresque,
Un crâne entre les dents comme un singe une noix ;
Fiesque empoisonne Azzo, c'est le mode génois ;
De par l'assassinat Sapandus est exarque ;
Cibo, pour traverser le lac Fucin, embarque
Trois enfants, dont il doit hériter, ses neveux,
Sur un bateau doré qu'il suit de tous ses voeux,
Et qui les noie, étant fait de planches trop minces.
Mais expliquons-nous donc, vous nommez ça des princes !
Un tas de scélérats et de coupe-jarrets !
La justice en leur nom prononce des arrêts ;
On les appelle grands, nobles, sérénissimes ;
Ils sont comme des feux allumés sur des cimes ;
Augustes marauds ! gueux de l'honneur trafiquant.
Drôles que frapperaient, à l'autel comme au camp,
Au nom du chaste glaive, au nom du temple vierge,
Ulysse de son sceptre et Jésus de sa verge !

Si vous vous êtes mis dans l'esprit qu'en ayant
Plus d'infamie, on est un roi plus flamboyant,
Si vous vous figurez vos races rajeunies
Par vos férocités et vos ignominies,
Rois, je vous le redis, vous vous trompez ; l'erreur,
C'est de croire qu'un nom peut grandir par l'horreur,
La fraude et les forfaits accumulés sans cesse.
Une augmentation de honte et de bassesse,
D'ombre et de déshonneur n'accroît pas les maisons ;
La fange n'a jamais redoré les blasons.
Ah ! deuil sans borne après les prouesses sans nombre !
Vous faites du passé votre piédestal sombre ;
Sur les grands siècles morts sans tache et sans défaut
Vous montez, pour porter votre honte plus haut !
Vous semblez avec eux avoir fait la gageure
D'égaler leur lumière et leur lustre en injure,
Et de ne pas laisser à leur vieille fierté
Une splendeur sans mettre un opprobre à côté ;
Et vous avez le prix dans cette affreuse joute
Où votre abjection à leur gloire s'ajoute !

Ô Dieu qui m'entendez, ces hommes sont hideux,
Certe, ils sont étonnés de nous comme nous d'eux.
Avez-vous fait erreur ? et que faut-il qu'on pense ?
À qui le châtiment ? à qui la récompense ?
Quelle nuit ! N'est-ce pas le plus dur des affronts
Que nous les preux ayions pour fils eux, les poltrons !
Et qu'abjects et rompant les anciens équilibres,
Eux les tyrans, soient nés de nous, les hommes libres ;
Si bien que l'honnête homme est chargé du maudit
Et que le juste doit répondre du bandit !
Qu'ont-ils fait pour porter des noms comme les nôtres ?
Par quel fil pouvons-nous tenir les uns aux autres,
Dieu puissant ! et comment avons-nous mérité
Eux, ces pères, et nous, cette postérité ?
Ah ! le siècle difforme et funeste où nous sommes,
En étalant, auprès des tombes, de tels hommes,
Si lâches, si méchants, si noirs, que j'en frémis,
Offense la pudeur des aïeux endormis.

Le vent à son gré roule et tord la banderole.
Je n'avais pas dessein quand j'ai pris la parole
De dire tout cela, mais c'est dit, et c'est bon.
Rois, je sens sur ma lèvre errer l'ardent charbon ;
À moi simple, il me vient en parlant des idées ;
La patrie et la nuit sur moi sont accoudées
Et toute l'Italie en mon âme descend.
Je sens mon sombre esprit comme un flot grossissant.
Dieu sans doute a voulu, sire, que votre altesse
Vît l'indignation qui sort de la tristesse.
Je sais que par instants le public devient froid
Pour le bien et le mal, pour le crime et le droit,
Le comble de la chute étant l'indifférence ;
On vit, l'abjection n'est plus une souffrance ;
On regarde avancer sur le même cadran
Sa propre ignominie et l'orgueil du tyran ;
L'affront ne pèse plus ; et même on le déclare.
À ces époques-là de sa honte on se pare ;
Temps hideux où la joue est rose du soufflet.
La jeunesse a perdu l'élan qui la gonflait ;
Le tocsin ne fait plus dresser la sentinelle,
Ce fauve oiseau qui bat les cloches de son aile
Est cloué sur la porte obscure du beffroi ;
Oui, sire, aux mauvais jours, sous quelque méchant roi
Féroce, quoique vil, et, quoique lâche, rude,
Toute une nation se change en solitude ;
L'échine et le bâton semblent être d'accord,
L'un frappe et l'autre accepte ; et le peuple a l'air mort ;
On mange, on boit ; toujours la foule, plus personne ;
Les âmes sont un sol aride où le pied sonne ;
Les foyers sont éteints, les coeurs sont endormis ;
Rois, voyant ce sommeil, on se croit tout permis.
Ah ! la tourbe est ignoble et l'élite est indigne.
De l'avilissement l'homme porte le signe.
L'air tiède et mou, le temps qui passe, la gaîté,
Les chants, l'oubli des morts, tout est complicité ;
Tous sont traîtres à tous, et la foule se rue
À traîner les vaincus par les pieds dans la rue ;
Le silence est au fond de tout le bruit qu'on fait ;
On est prêt à baiser Satan s'il triomphait ;
Le mal qui réussit devient digne d'estime ;
L'applaudissement suit, la chaîne au cou, le crime,
Que la libre huée a d'abord précédé ;
On voit - car le malheur lui-même dégradé
Abdique la colère et se couche et se vautre,
Dans l'espoir d'avoir part au pillage d'un autre -
Les extorqués faisant cortége aux extorqueurs.
Pas une résistance illustre dans les coeurs !
La tyrannie altière, atroce, inexorable,
Est le vaste échafaud de l'homme misérable ;
Le maître est le gibet, les flatteurs sont les clous.
Mangé de la vermine ou dévoré des loups,
Tel est le sort du peuple ; il faut qu'il s'y résigne.
Des vautours, des corbeaux. Mais où donc est le cygne ?
Où donc est la colombe ? où donc est l'alcyon ?
Quand on n'est pas Tibère, on est Trimalcion.
L'un rampe, lèche et rit pendant que l'autre opprime,
Sombre histoire ! le vice est le fumier du crime ;
Les hommes sont bassesse ou bien férocité ;
Meurtre dans le palais, fange dans la cité ;
Le tyran est doublé du valet ; et le monde
Va de l'antre du fauve à l'auge de l'immonde.

Tout ce que je dis là vous fait l'esprit content ;
C'est votre joie, ô rois, mais écoutez pourtant.

Rois, qu'une seule voix proteste, elle réveille
Au fond de ce silence une sinistre oreille
Et fait rouvrir un oeil terrible en cette nuit ;
Prenez garde à celui qui fait le premier bruit ;
Un seul passant sévère et ferme déconcerte
Dans son abjection l'immensité déserte ;
Un vivant n'a qu'à dire aux cadavres un mot,
Et l'ossuaire va se lever en sursaut.
Princes, aussi longtemps qu'on croit le ciel compère,
On se tait ; tant qu'on voit le tyran qui prospère
Et le lâche succès qui le suit comme un chien,
C'est bon ; tant que le mal qu'il fait se porte bien,
Sa personne est un dogme et son règne est un culte.
Un beau jour, brusquement, catastrophe, tumulte,
Tout croule et se disperse, et dans l'ombre, les cris,
L'horreur, tout disparaît ; et, quant à moi, je ris
De ceux qu'ébahiraient ces chutes de tonnerre.

Pisistrate, Manfred, Hippias, Foulques-Nerre,
Hatto du Rhin, Jean deux, le pire des dauphins,
Macrin, Vitellius, ont fait de sombres fins ;
Rois, ce ne sont point là des choses que j'invente ;
C'est de l'histoire. On peut régner par l'épouvante
Et la fraude, assisté de tel prêtre moqueur
Et fourbe, à qui les vers mangent déjà le coeur,
On peut courber les grands, fouler la basse classe ;
Mais à la fin quelqu'un dans la foule se lasse,
Et l'ombre soudain s'ouvre, et de quelque manteau
Sort un poing qui se crispe et qui tient un couteau.
Vous dites : - Devant moi tout fléchit et recule ;
Moi, je viens de Turnus ; moi je descends d'Hercule ;
J'ai le respect de tous, étant né radieux
Et fils de ces héros qui touchaient presque aux dieux. -
Ne vous fiez pas trop à vos grands noms, mes maîtres ;
Car vous seriez frappés, quels que soient vos ancêtres,
Eussiez-vous sur le front l'étoile Aldebaran.
On s'inquiète peu des aïeux d'un tyran,
Du Chéréas quelconque on applaudit l'audace,
Qu'Aurélien soit noble ou bourgeois, qu'il soit dace
Ou hongrois, ce n'est pas ce que je veux savoir ;
Mais il fut dur et sombre, et, quant au vengeur noir
Qui rejette au tombeau cette âme ensanglantée,
Que ce soit Mucapor ou que ce soit Mnesthée,
Qu'importe ? Un tyran tombe, un despote est détruit,
Je n'en demande pas davantage à la nuit.

Ces meurtres-là sont grands ; Brutus en est la marque ;
Chion, Léonidas en poignardant Cléarque,
Ont montré qu'ils étaient disciples de Platon ;
Harmodius n'avait point de poil au menton
Quand il dit : je tuerai le tyran ; il le tue ;
Et la Grèce lui fait dresser une statue
Qui tenait à la main une épée et des fleurs.
On peut frapper le roi qui vit de vos malheurs,
L'usurpateur armé de forfaits et de ruses ;
C'était l'opinion des grecs amants des muses,
Peuple si délicat que, sous ces nobles cieux,
Les orfèvres, sculpteurs des métaux précieux,
Moulaient les coupes d'or sur la gorge des femmes.
Ainsi furent punis certains hommes infâmes,
Car on n'épargne point qui n'a rien épargné ;
Et l'histoire les suit d'un regard indigné.

Moi, je ne juge pas ces justices sinistres ;
Je les vois, je n'ai point la garde des registres
Ni la revision des arrêts ; je n'ai pas
De signature à mettre au bas de ces trépas ;
C'est la chose de Dieu, non la mienne ; l'affaire
Le regarde, et non moi, vieux néant de la guerre,
Spectre qui vais traînant mes pas estropiés,
Et qui sens des douleurs sous la plante des pieds ;
Après tout, je ne suis ni mage ni prophète ;
Et que la volonté du ciel profond soit faite !
Rois, je n'apporte ici que l'avertissement.

Ô princes, vous pouvez crouler subitement.
Vous avez beau compter sur vos soldats horribles ;
Les comètes aussi sont fortes et terribles,
Elles vont à l'assaut du soleil rayonnant,
Elles font peur au ciel ; mais Dieu, rien qu'en tournant
Son doigt mystérieux vers les nuits scélérates,
Fait dans l'océan noir fuir ces astres pirates.

Le pas des lansquenets sonnait sur les pavés.
- J'ai soif, dit Elciis. L'empereur dit : Buvez.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
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