LES DEUX PORTE-SCEPTRE
Un torrent effréné roule entre deux falaises ;
À droite est l'antre ; à gauche, au milieu des mélèzes,
Un dur sentier fait face au terrier du bandit,
Mince corniche au flanc du roc ; l'eau qui bondit,
L'affreux souffle sortant du gouffre, la colère
D'un trou prodigieux et perpendiculaire,
Séparent le sentier de l'antre. Pas de pont.
Rien. La chute où l'écho tumultueux répond.
Les antres, là, sont sûrs ; les abîmes les gardent ;
Les deux escarpements ténébreux se regardent ;
À peine, en haut, voit-on un frêle jour qui point.
La fente épouvantable est étroite à ce point
Qu'on pourrait du sentier parler à la caverne ;
On cause ainsi d'un mur à l'autre de l'Averne.
Un sentier, mais jamais de passants.
Dans ces monts,
Le sol n'est que granits, herbes, glaces, limons ;
Le cheval y fléchit, la mule s'y déferre ;
Tout ce que les deux rois envoyés purent faire,
Ce fut de pénétrer jusqu'au rude sentier.
Parvenus au tournant, où l'antre tout entier,
Comme ces noirs tombeaux que les chacals déterrent,
Lugubre, apparaissait, les deux rois s'arrêtèrent.
Le bandit, que les rois apercevaient dedans,
Raccommodait son arc, coupait avec ses dents
Les noeuds, de peur qu'un fil sur le bois ne se torde,
Songeait, et par moments crachait un bout de corde.
L'eau du gave semblait à la hâte s'enfuir.
L'homme avait à ses pieds un vieux carquois de cuir
Plein de ces dards qui font de loin trembler la cible.
On voyait dans un coin sa femelle terrible.
Une pierre servait à ce voleur de banc.
Alors, haussant la voix, car le gave en tombant
Faisait le bruit d'un buffle échappé de l'étable,
L'un des deux rois cria dans l'antre redoutable :
- Salut, homme, au milieu des gouffres ! Devant toi
Tu vois Agina, duc, et Genialis, roi ;
Nous sommes envoyés par Vasco Tête-Blanche,
Fervehan, Gildebrand, don Blas, don Juan, don Sanche,
Gil, Bermudo, Sforon, et je te dis ceci
De la part de ceux-là qui sont des rois aussi :
On te donne Oloron, ville dans la montagne,
Sois l'un de nous ; sois roi ; viens ; le sceptre se gagne,
Tu l'as gagné. Nous rois, nous venons te chercher.
Un fils comme toi peut, du haut de son rocher,
Entrer parmi les rois de plain-pied, sans démence ;
C'est à ta liberté que le trône commence.
Règne sur Oloron et sur vingt bourgs encor.
Tu mettras sur ta tête une tiare d'or,
Et ce qu'on nomme vol se nommera conquête ;
Car rien n'est crime et tout est vertu, sur le faîte ;
Et ceux qui t'appelaient bandit, t'adoreront.
Viens, règne. Nous avons des couronnes au front,
Des draps d'or et d'argent à dix onces la vare,
Des châteaux, des pays, l'Aragon, la Navarre,
Des femmes, des banquets, le monde à nos genoux ;
Prends ta part. Tout cela t'appartient comme à nous.
Entre dans le palais et sors de la tanière,
Remplace le nuage, ami, par la lumière ;
Quitte ta nuit, ton roc, ton haillon, ton torrent,
Viens ; et sois comme nous un roi superbe et grand,
N'ayant rien à ses pieds qui ne soit une fête.
Viens.
Sans lever les yeux et sans tourner la tête,
Le bandit, sur son arc gardant toujours la main,
Leur fit signe du doigt de passer leur chemin.