PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Pensif, je répondis à l'archange nocturne :

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Pensif, je répondis à l'archange nocturne :   Victor HUGO (1802-1885) Pensif, je répondis à l'archange nocturne : Icon_minitimeMar 27 Sep - 21:21

Pensif, je répondis à l'archange nocturne :

*

- Sévère esprit, ta voix sanglote comme l'urne
Qui verse un flot noir et glacé.
Sur qui te penches-tu ? Tes paroles s'adressent
Aux tristes nations d'hier qui disparaissent,
Aux pâles foules du passé.

Ton cri ressemble au chant des mornes Isaïes.
Le mystère autrefois, de ses brumes haïes,
Obstruait la terre et les cieux ;
Et l'homme avait besoin que les prophètes blêmes
Lui parlassent du seuil de tous ces noirs problèmes
Ouvrant leurs porches monstrueux.
L'homme ignorait. Marchant loin du sentier qui sauve,
Il allait au hasard dans la nature fauve,
Comme le loup au fond des bois,
Sourd à ces alphabets, perdu dans ces algèbres ;
Les prophètes alors, dans ces grandes ténèbres
Élevèrent leurs grandes voix.

Il fallait avertir l'homme au bord de l'abîme,
Tout ici-bas semblait lui conseiller le crime ;
Temps rude où le mal triomphait !
La forêt, de l'embûche était le noir ministre.
L'arbre avait l'air d'un monstre, et le rocher sinistre
Avait la forme du forfait.

Ici gémissait Job, et là chantait Sodome.
L'homme à tous les fléaux, horrible, ajoutait l'homme ;
La guerre infâme aidait la faim ;
Comme on brûle une paille on allumait les villes ;
Et l'on voyait Judas sortir des choses viles,
Et des choses sombres Caïn.

Les prophètes chassaient le mal ; ces personnages
Rendaient au Dieu vivant d'augustes témoignages ;
L'homme de ces temps inhumains,
Affreux, baignant de sang les champs, l'onde et les sables,
S'arrêtait, s'il voyait ces songeurs formidables,
Pâles et levant leurs deux mains.

Ils descendaient des monts, portant de sombres tables ;
Ils mouraient en laissant les Talmuds redoutables
Ouverts sur l'aile des griffons,
Les farouches Védas, les Eddas, les Genèses,
Registres éclairés du reflet des fournaises,
Pages pleines de bruits profonds.

Ils épouvantaient l'homme et la terre méchante ;
Et depuis cinq mille ans, pendant que l'aube chante
Et que la fleur verse l'encens,
Le genre humain qui passe et que le temps dénombre
Entend, dans la caverne effrayante de l'ombre,
Gronder ces livres rugissants.
Mais le passé s'en va. Regarde-nous ; nous sommes
Un autre Adam, une autre Ève, de nouveaux hommes
Nous bénissons quand nous souffrons.
Hier vivait d'horreur, de deuil, de sang, de fange ;
Hier était le monstre et Demain sera l'ange ;
Le point du jour blanchit nos fronts.

Deux êtres sont en nous : l'un ailé, l'autre immonde ;
L'un montant vers Dieu ; l'autre ombre et tache du monde,
Se ruant dans d'infâmes lits ;
Et, pendant que le corps, marchant sur des semelles,
Vil, abject, boit l'opprobre et la lie aux gamelles,
L'âme boit la rosée aux lys.

L'oeuvre du genre humain, c'est de délivrer l'âme ;
C'est de la dégager du triste épithalame
Que lui chante le corps impur ;
C'est de la rendre, chaste, à la clarté première ;
Car Dieu rêveur a fait l'âme pour la lumière
Comme il fit l'aile pour l'azur.

Nous ne sommes plus ceux qui riaient à la face
De l'ombre impénétrable où tout rentre et s'efface,
Qui faisaient le mal sans frayeur,
Qui jetaient au cercueil ce cri : Va-t'en ! je nie !
Et mettaient le néant, le rire et l'ironie
Dans la pelle du fossoyeur.

Nous croyons en ce Dieu vivant ; sa foi nous brûle ;
Il inspire Brutus sur la chaise curule,
Guillaume Tell sous le sayon ;
Nous allumons, courbés sous son vent qui nous pousse,
Notre liberté fière à sa majesté douce
Et notre foudre à son rayon.

Il fait germer le ver dans sa morne cellule,
Change la larve affreuse en vive libellule,
Transfigure, affranchit, construit,
Émeut les tours de pierre et les tentes de toiles,
Et crée et vit ! c'est lui qui pénètre d'étoiles
Les ailes noires de la nuit.

Sa tiare splendide est une ruche immense,
Où, des roses soleils apportant la semence
Et de l'astre apportant le miel,
Essaim de flamme ayant les mondes pour Hymètes,
Mouches de l'infini, les abeilles comètes
Volent de tous les points du ciel.

Le Mal, le glaive au poing, voilé d'un voile d'ombre,
Nous guette ; et la forêt que la broussaille encombre,
L'âpre rocher, le flot ingrat,
L'aident, complices noirs, contre la créature,
Et semblent par moments faire de la nature
L'antre où rêve ce scélérat.

Mais nous luttons, esprit ! nous vaincrons. Dieu nous mène.
Il est le feu qui va devant l'armée humaine,
Le Dieu d'Ève et de Débora.
Un jour, bientôt, demain, tout changera de forme,
Et dans l'immensité, comme une fleur énorme,
L'univers s'épanouira !

Nous vaincrons l'élément ! cette bête de somme
Se couchera dans l'ombre à plat ventre sous l'homme ;
La matière aura beau hurler ;
Nous ferons de ses cris sortir l'hymne de l'ordre ;
Et nous remplacerons les dents qui veulent mordre
Par la langue qui sait parler.

Quand nous aurons fini le travail de la vigne,
Quand au Dieu qui fit l'aigle et l'air, l'onde et le cygne,
La tourmente et Léviathan,
Nous aurons rapporté toutes nos âmes anges,
Nous ferons du panier de ces saintes vendanges
La muselière de Satan.

Satan, c'est l'appétit, pourceau qui mord l'idée ;
C'est l'ivresse, fond noir de la coupe vidée ;
Satan, c'est l'orgueil sans genoux ;
C'est l'égoïsme, heureux du sang où ses mains trempent ;
C'est le ventre hideux, cette caverne où rampent
Tous les monstres qui sont en nous.
Satan, c'est la douleur, c'est l'erreur, c'est la borne,
C'est le froid ténébreux, c'est la pesanteur morne,
C'est la vis du sanglant pressoir ;
C'est la force d'en bas liant tout de ses chaînes,
Qui fait dans le ravin, sous l'ombre des grands chênes,
Crier les chariots le soir.

Nous allons à l'amour, au bien, à l'harmonie.
Ô vivants qui flottez dans l'énigme infinie,
Un arbre, auguste à tous les yeux,
Conduit votre navire à travers l'âpre abîme ;
Jésus ouvre ses bras sur la vergue sublime
De ce grand mât mystérieux.
Derrière nous décroît le mal, noire masure.
Bientôt nous toucherons au port, le flot s'azure.
L'homme qu'en vain le deuil poursuit,
Ne verra plus tomber dans l'ombre sur sa tête
L'effroi, l'hiver, l'horreur, l'ouragan, la tempête,
Ces vomissements de la nuit.

Nous chasserons la guerre et le meurtre à coups d'aile,
Et cette frémissante et candide hirondelle
Qui vole vers l'éternité,
L'espérance, adoptant notre maison amie,
Viendra faire son nid dans la gueule endormie
Du vieux monstre Fatalité.

Les peuples trouveront de nouveaux équilibres ;
Oui, l'aube naît, demain les âmes seront libres ;
Le jour est fait par le volcan ;
L'homme illuminera l'ombre qui l'environne ;
Et l'on verra, changeant l'esclavage en couronne,
Des fleurons sortir du carcan.

Et quand ces temps viendront, ô joie ! ô cieux paisibles !
Les astres, aujourd'hui l'un pour l'autre terribles,
Se regarderont doucement ;
Les globes s'aimeront comme l'homme et la femme ;
Et le même rayon qui traversera l'âme
Traversera le firmament.
Les sphères vogueront avec le son des lyres.
Au lieu des mondes noirs pleins d'horribles délires,
Qui rugissent vils et maudits,
On entendra chanter sous le feuillage sombre
Les édens enivrés, et l'on verra dans l'ombre
Resplendir les bleus paradis.

Dieu voudra. Tout à coup on verra les discordes,
La hache et son billot, les gibets et leurs cordes,
L'impur serpent des cieux banni,
Le sang, le cri, la haine, et l'ordure, et la vase,
Se changer en amour et devenir extase
Sous un baiser de l'infini.

Dieu met, quand il lui plaît, sur l'orage et la haine,
Sur la foudre, forçat dont on entend la chaîne,
La sainte serrure des cieux,
Et, laissant écumer leurs voix exténuées,
Ferme avec l'arc-en-ciel courbé dans les nuées
Ce cadenas mystérieux.

Au fond du gouffre où sont ceux qui se font proscrire,
Des plus profonds enfers, stupéfaits de sourire,
L'amour ira baiser les gonds,
Comme un rayon de l'aube, à l'orient ouverte,
Va dans la profondeur de l'eau sinistre et verte
Jusqu'aux écailles des dragons.

Les globes se noueront par des noeuds invisibles ;
Ils s'enverront l'amour comme la flèche aux cibles ;
Tout sera vie, hymne et réveil ;
Et comme des oiseaux vont d'une branche à l'autre,
Le Verbe immense ira, mystérieux apôtre,
D'un soleil à l'autre soleil.

Les mondes, qu'aujourd'hui le mal habite et creuse,
Échangeront leur joie à travers l'ombre heureuse
Et l'espace silencieux ;
Nul être, âme ou soleil, ne sera solitaire ;
L'avenir, c'est l'hymen des hommes sur la terre
Et des étoiles dans les cieux.


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