Les paroles de mon oncle
La Soeur de Charité.
J'avais vingt ans, j'étais criblé de coups de lance,
On me porta sanglant et pâle à l'ambulance.
On me fit un lit d'herbe, on me déshabilla.
J'avais sur moi des vers ; j'étais, dans ce temps-là,
Poëte, comme Horace amoureux de Barine.
Les lances qui m'avaient fort piqué la poitrine
Avaient aussi troué mes quatrains à Chloris.
Tout manquait ; on n'est pas soigné comme à Paris
Dans ces vieilles forêts du pays de Thuringe ;
Le chirurgien dit : - Nous n'avons pas de linge.
Il lut mes vers et dit : - C'est un payen, je crois.
La soeur de charité fit un signe de croix.
Et le docteur reprit : - Pas de linge ! que faire ? -
Ah ! cette guerre était grande, et je la préfère
À votre paix. Quel temps ! je suis un des témoins.
J'ai des grades de plus et des cheveux de moins,
Le vieux général songe au jeune capitaine ;
Et l'envie. Ah ! l'aurore est charmante, et lointaine ! -
Donc je perdais mon sang, j'étais évanoui.
J'étais jeune, blessé, mourant, mais vivant ; oui,
Très vivant ! Le docteur disait : - La mort est sûre
Si l'on ne parvient pas à bander la blessure ;
Du linge ! ou dans une heure il est mort ! - Cependant
Il partit. La bataille autour de nous grondant,
Pleine de chocs, de meurtre et d'ombre, et des haleines
De l'immense agonie éparse dans les plaines,
L'appelait de sa voix formidable au secours ;
On ne donne aux blessés que des instants très courts.
J'étais seul, et mon flanc saignait, et mon épaule
Ruisselait, et la soeur de Saint-Vincent de Paule,
Très jeune, pâle, et rose à travers sa pâleur,
Me veillait. Elle dit : - Sauvons-le ! quel malheur !
S'il mourait, il serait damné, ce pauvre impie ! -
Elle arracha sa guimpe et fit de la charpie.
Tout entière à ses soins pour le jeune inconnu,
Elle ne voyait pas que son sein était nu,
Moi, je rouvrais les yeux... - Ô muses de Sicile,
Dire à quoi je pensais, ce serait difficile !