Et les glaives s'étaient éclipsés.
L'ange dit :
- Qu'êtes-vous ?
Et le groupe à ses pieds répondit :
- Rois, et maîtres de tout, du droit de nos ancêtres.
- Rois ! vous êtes les rois, vous n'êtes pas les maîtres,
Dit l'ange. Allons, venez, c'est l'heure, arrivez tous.
Vous voilà donc enfin, princes ? D'où sortez-vous ?
Ô princes, vous sortez, et je vais vous le dire,
Des forfaits, des fureurs, du meurtre et du délire,
Des deuils, des faux serments dont l'homme est éperdu,
Et du sang innocent à grands flots répandu,
Vous sortez des palais qu'habite la démence,
Des fortins, des charniers, et de la plaine immense
Du monde entier criant vers le haut firmament !
Rois ! l'homme n'est pas fait pour votre amusement.
Rois ! la terre est un temple et non pas une étable.
Le tyran, dans l'orgie, accoudé sur la table,
Commande au crime, et Dieu commande au châtiment.
Princes, avant que Dieu regarde froidement
Tout le sang qui ruisselle autour de vos armures,
Les astres tomberont comme des figues mûres
Qui tombent d'un figuier secoué par le vent.
Ô rois qui massacrez sous l'oeil du Dieu vivant,
La voix du genre humain contre vos fronts s'élève.
Plus nombreux que les flots gémissant sur la grève
Les morts auprès de Dieu, rois, vous ont précédés
Ôtez votre couronne, accusés, répondez.
Tous ces crimes abjects, mêlés au vice immonde,
Les avez-vous commis ?
Et ces maîtres du monde
Tremblèrent comme l'arbre au vol des ouragans,
Et l'ange regardait pâlir ces arrogants ;
Et chacun d'eux, pareil au renard qui s'échappe,
Criait :
- Ce n'est pas nous !
- Et qui donc ?
- C'est le pape.
Seigneur, vous aviez mis parmi nous ce docteur.
Il était le semeur, il était le pasteur,
Il enseignait d'en haut comme votre vicaire.
Nos trônes faisaient cercle autour de cette chaire.
Nous écoutions son verbe ainsi que votre voix.
Il nous disait : « Je suis celui qui parle aux rois ;
« Quiconque me résiste et me brave est impie.
« Ce qu'ici-bas j'écris, là-haut Dieu le copie.
« L'église, mon épouse, éclose au mont Thabor,
« A fait de la doctrine une cage aux fils d'or,
« Et comme des oiseaux j'y tiens toutes les âmes.
« Seul je suis le mystère et seul j'ai les dictames.
« Rois, obéissez-moi selon qu'il est écrit.
« Quand vous me regardez, vous voyez Jésus-Christ.
« Je fais et je défais la loi quand je la touche,
« Et l'explication de tout est dans ma bouche ;
« Je suis l'homme-justice et l'homme-vérité. »
Or, quand nous abattions droit, peuple, liberté,
Quand nous eûmes tué le tribun et l'apôtre,
Nous étions d'un côté, les morts étaient de l'autre,
Nous lui dîmes : - Quels sont les bons et les pervers ?
Et cet homme leva la main, et l'univers
Vit descendre, seigneur, de cette main suprême
Sur nous l'apothéose et sur eux l'anathème ;
Quand nous exterminions l'aïeul aux pas tremblants,
Ce vieillard nous criait : Malheur aux cheveux blancs !
Quand nous percions l'enfant au ventre de sa mère,
Il nous criait, debout au fond du sanctuaire,
Devant la mère froide et devant l'enfant mort :
L'enfant était coupable et la mère avait tort !
Il faisait, pour punir quiconque pense et rêve,
Jaillir des crucifix sous les éclairs du glaive !
Sa main, plus que nos bras, multipliait les coups.
Répondez, Pazzoli, Simoncelli, vous tous !
Cet homme interrompait la messe à l'offertoire,
Ce prêtre rejetait la gorgée au ciboire,
Seigneur, pour faire signe au bourreau de frapper,
Et lui montrer du doigt les têtes à couper.
Sa ceinture servait de corde à nos potences,
Il liait de ses mains l'agneau sous nos sentences,
Et quand on nous criait : Grâce ! il nous criait ! Feu !
C'est à lui que le mal revient. Voilà, grand Dieu,
Ce qu'il a fait ; voilà ce qu'il nous a fait faire.
Cet homme était le pôle et l'axe de la sphère ;
Il est le responsable et nous le dénonçons !
Seigneur, nous n'avons fait que suivre ses leçons,
Seigneur, nous n'avons fait que suivre son exemple.
Nos forfaits sous ses pieds sont nés dans votre temple.
Il nous a mis l'enfer dans l'âme au lieu du ciel
Lui seul porte le poids du crime universel !
Et l'archange cria :
- Faites venir cet homme !
Alors les sept clairons dirent :
- Pape de Rome !
Mastaï ! Mastaï ! nous t'appelons sept fois.
Viens rapporter à Dieu les peuples et les rois,
Car l'Éternel t'attend, assis sur les nuées.
Toutes les profondeurs frémirent, remuées.
Un vieillard blanc et pâle apparut dans la nuit.