PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Victor HUGO (1802-1885) Hors des temps

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Victor HUGO (1802-1885) Hors des temps Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Hors des temps   Victor HUGO (1802-1885) Hors des temps Icon_minitimeMar 27 Sep - 22:16

Hors des temps


La trompette du jugement.


Je vis dans la nuée un clairon monstrueux.

Et ce clairon semblait, au seuil profond des cieux,
Calme, attendre le souffle immense de l'archange.

Ce qui jamais ne meurt, ce qui jamais ne change,
L'entourait. A travers un frisson, on sentait
Que ce buccin fatal, qui rêve et qui se tait,
Quelque part, dans l'endroit où l'on crée, où l'on sème,
Avait été forgé par quelqu'un de suprême
Avec de l'équité condensée en airain.
Il était là, lugubre, effroyable, serein.
Il gisait sur la brume insondable qui tremble,
Hors du monde, au delà de tout ce qui ressemble
A la forme de quoi que ce soit.

Il vivait.
Il semblait un réveil songeant près d'un chevet.

Oh! quelle nuit! là, rien n'a de contour ni d'âge ;
Et le nuage est spectre, et le spectre est nuage.

Et c'était le clairon de l'abîme.

Une voix

Un jour en sortira qu'on entendra sept fois.
En attendant, glacé, mais écoutant, il pense ;
Couvrant le châtiment, couvrant la récompense ;
Et toute l'épouvante éparse au ciel est soeur
De cet impénétrable et morne avertisseur.

Je le considérais dans les vapeurs funèbres.
Comme on verrait se taire un coq dans les ténèbres.
Pas un murmure autour du clairon souverain.
Et la terre sentait le froid de son airain,
Quoique, là, d'aucun monde on ne vît les frontières.

Et l'immobilité de tous les cimetières,
Et le sommeil de tous les tombeaux, et la paix
De tous les morts couchés dans la fosse, étaient faits
Du silence inouï qu'il avait dans la bouche ;
Ce lourd silence était pour l'affreux mort farouche
L'impossibilité de faire faire un pli
Au suaire cousu sur son front par l'oubli.
Ce silence tenait en suspens l'anathème.
On comprenait que tant que ce clairon suprême
Se tairait, le sépulcre, obscur, roidi, béant,
Garderait l'attitude horrible du néant,
Que la momie aurait toujours sa bandelette,
Que l'homme irait tombant du cadavre au squelette,
Et que ce fier banquet radieux, ce festin
Que les vivants glouton appellent le destin,
Tout la joie errante en tourbillons de fêtes,
Toutes les passions de la chair satisfaites,
Gloire, orgueil, les héros ivres, les tyrans soûls,
Continueraient d'avoir pour but et pour dessous
La pourriture, orgie offerte aux vers convives ;
Mais qu'à l'heure où soudain, dans l'espace sans rives,
Cette trompette vaste et sombre sonnerait,
On verrait comme un tas d'oiseaux d'une forêt,
Toutes les âmes, cygne, aigle, éperviers, colombes,
Frémissantes, sortir du tremblement des tombes,
Et tous les spectres faire un bruit de grandes eaux,
Et se dresser, et prendre à la hâte leurs os,
Tandis qu'au fond, au fond du gouffre, au fond du rêve,
Blanchissant l'absolu, comme un jour qui se lève,
Le front mystérieux du juge apparaîtrait!


Ce clairon avait l'air de savoir le secret

On sentait que le râle énorme de ce cuivre
Serait tel qu'il ferait bondir, vibrer, revivre
L'ombre, le plomb, le marbre, et qu'à ce fatal glas,
Toutes les surdités voleraient en éclats ;
Que l'oubli sombre, avec sa perte de mémoire,
Se lèverait au son de la trompette noire ;
Que dans cette clameur étrange, en même temps
Qu'on entendrait frémir tous les cieux palpitants,
On entendrait crier toutes les consciences ;
Que le sceptique au fond de ses insouciances,
Que le voluptueux, l'athée et le douteur,
Et le maître tombé de toute sa hauteur,
Sentiraient ce fracas traverser leurs vertèbres ;
Que ce déchirement céleste des ténèbres
Ferait dresser quiconque est soumis à l'arrêt ;
Que qui n'entendit pas le remords, l'entendrait ;
Et qu'il réveillerait, comme un choc à la porte,
L'oreille la plus dure et l'âme la plus morte,
Même ceux qui, livrés au rire, aux vains combats,
Aux vils plaisirs, n'ont point tenu compte ici-bas
Des avertissements de l'ombre et du mystère,
Même ceux que n'a point réveillés sur la terre
Le tonnerre, ce coup de cloche de la nuit!

Oh! dans l'esprit de l'homme où tout vacille et fuit,
Où le verbe n'a pas un mot qui ne bégaie,
Où l'aurore apparaît, hélas! comme une plaie,
Dans cet esprit, tremblant dès qu'il ose augurer,
Oh! comment concevoir, comment se figurer
Cette vibration communiquée aux tombes,
Cette sommation aux blêmes catacombes,
Du ciel couvrant sa porte et du gouffre ayant faim,
Le prodigieux bruit de Dieu disant : Enfin!

Oui, c'est vrai, c'est du moins jusque-là que l'oeil plonge,
C'est l'avenir, du moins tel qu'on le voit en songe,
Quand le monde atteindra son but, quand les instants,
Les jours, les mois, les ans, auront rempli le temps,
Quand tombera du ciel l'heure immense et nocturne,
Cette goutte qui doit faire déborder l'urne,
Alors, dans le silence horrible, un rayon blanc,
Long, pâle, glissera, formidable et tremblant,
Sur ces haltes de nuit qu'on nomme cimetières,
Les tentes frémiront, quoiqu'elles soient des pierres,
Dans tous ces sombres camps endormis ; et sortant
Tout à coup de la brume où l'univers l'attend,
Ce clairon, au-dessus des êtres et des choses,
Au-dessus des forfaits et des apothéoses,
Des ombres et des os, des esprits et des corps,
Sonnera la diane effrayante des morts.

O lever en sursaut des larves pêle-mêle!
Oh! la Nuit réveillant la Mort, sa soeur jumelle!
Pensif, je regardais l'incorruptible airain.


Les volontés sans loi, les passions sans frein,
Toutes les actions de tous les êtres, haines,
Amours, vertus, fureurs, hymnes, cris, plaisirs, peines,
Avaient laissé, dans l'ombre où rien ne remuait,
Leur pâle empreinte autour de ce bronze muet ;
Une obscure Babel y tordait sa spirale.

Sa dimension vague, ineffable, spectrale,
Sortant de l'éternel, entrait dans l'absolu.
Pour pouvoir mesurer ce tube, il eût fallu
Prendre la toise au fond du rêve, et la coudée
Dans la profondeur trouble et sombre de l'idée ;
Un de ses bouts touchait le bien, l'autre le mal ;
Et sa longueur allait de l'homme à l'animal,
Quoiqu'on ne vît point là d'animal et point d'homme ;
Couché sur terre, il eût joint Éden à Sodome.

Son embouchure, gouffre où plongeait mon regard,
Cercle de l'Inconnu ténébreux et hagard,
Pleine de cette horreur que le mystère exhale,
M'apparaissait ainsi qu'une offre colossale
D'entrer dans l'ombre où Dieu même est évanoui.
Cette gueule, avec l'air d'un redoutable ennui,
Morne, s'élargissait sur l'homme et la nature ;
Et cette épouvantable et muette ouverture
Semblait le bâillement noir de l'éternité.


Au fond de l'immanent et de l'illimité,
Parfois, dans les lointains sans nom de l'Invisible,
Quelque chose tremblait de vaguement terrible,
Et brillait et passait, inexprimable éclair.
Toutes les profondeurs des mondes avaient l'air
De méditer, dans l'ombre où l'ombre se répète,
L'heure où l'on entendrait de cette âpre trompette
Un appel aussi long que l'infini, jaillir.
L'immuable semblait d'avance en tressaillir.

Des porches de l'abîme, antres hideux, cavernes
Que nous nommons enfers, puits, gehennams, avernes,
Bouches d'obscurité qui ne prononcent rien,
Du vide, où ne flottait nul souffle aérien,
Du silence où l'haleine osait à peine éclore,
Ceci se dégageait pour l'âme : Pas encore.

Par instants, dans ce lieu triste comme le soir,
Comme on entend le bruit de quelqu'un qui vient voir,
On entendait le pas boiteux de la justice ;
Puis cela s'effaçait. Des vermines, le vice,
Le crime, s'approchaient, et, fourmillement noir,
Fuyaient. Le clairon sombre ouvrait son entonnoir.
Un groupe d'ouragans dormait dans ce cratère.
Comme cet organum des gouffres doit se taire
Jusqu'au jour monstrueux où nous écarterons
Les clous de notre bière au-dessus de nos fronts,
Nul bras ne le touchait dans l'invisible sphère ;
Chaque race avait fait sa couche de poussière
Dans l'orbe sépulcral de son évasement ;
Sur cette poudre l'oeil lisait confusément
Ce mot : RIEZ, écrit par le doigt d'Épicure.
Et l'on voyait, au fond de la rondeur obscure,
La toile d'araignée horrible de Satan.

Des astres qui passaient murmuraient : - Souviens-t'en!
Prie! - et la nuit portait cette parole à l'ombre.

Et je ne sentais plus ni le temps ni le nombre.


Une sinistre main sortait de l'infini.

Vers la trompette, effroi de tout crime impuni,
Qui doit faire à la mort un jour lever la tête,
Elle pendait, énorme, ouverte, et comme prête
A saisir ce clairon qui se tait dans la nuit,
Et qu'emplit le sommeil formidable du bruit.
La main, dans la nuée et hors de l'Invisible,
S'allongeait. A quel être était-elle ? Impossible
De le dire, en ce morne et brumeux firmament.
L'oeil dans l'obscurité ne voyait clairement
Que les cinq doigts béants de cette main terrible ;
Tant l'être, quel qu'il fût, debout dans l'ombre horrible,
Sans doute quelque archange ou quelque séraphin
Immobile, attendant le signe de la fin,
Plongeait profondément, sous les ténébreux voiles,
Du pied dans les enfers, du front dans les étoiles!


Revenir en haut Aller en bas
 
Victor HUGO (1802-1885) Hors des temps
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Victor HUGO (1802-1885) Hors De La Terre I.
» Victor HUGO (1802-1885) Joie hors du château
» Victor HUGO (1802-1885) Comme on a hors de soi ce prodigieux monde
» Victor HUGO (1802-1885) Rends-tu de temps en temps des services à Dieu?
» Victor HUGO (1802-1885) Les anges du Seigneur passent de temps en temps;

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: