Nemrod, comme le chêne est plus haut que les ormes,
Etait le plus grand front parmi ces fronts énormes;
Il était fils de Chus, fils de Cham, qui vivait
En Judée et prenait le Sina pour chevet.
Son aïeul était Cham, le fils au rire infâme,
Dont Noë dans la nuit avait rejeté l'âme.
Cham, depuis lors, grondait comme un vase qui bout.
Cham assis dépassait les colosses debout,
Et debout il faisait prosterner les colosses.
Il avait deux lions d'Afrique pour molosses.
Atlas et le Liban lugubre au sommet noir
Tremblaient quand il jouait de la flûte le soir;
Parfois Cham, dans l'orage ouvrant ses mains fatales,
Tâchait de prendre au vol l'éclair aux angles pâles;
Arrachant la nuée, affreux, blême, ébloui,
Il bondissait de roche en roche, et devant lui,
Le tonnerre fuyait comme une sauterelle.
Si l'ouragan passait, Cham lui cherchait querelle.
Quand il fut vieux, Nemrod le laissa mourir seul.
Ayant ri comme fils, il pleura comme aïeul.
Donc Nemrod était fils de ces deux hommes sombres.
La terre était encore couverte de décombres
Quand était né, sous l'oeil fixe d'Adonaï,
Ce Nemrod qui portait tant de ruine en lui.
Etant jeune, et, chassant les lynx dans leur refuge,
Il avait, en fouillant les fanges du déluge,
Trouvé dans cette vase un clou d'airain, tordu,
Colossal, noir débris de l'univers perdu,
Et qu'on eût dit forgé par les géants du rêve;
Et de ce clou sinistre il avait fait son glaive.
Nemrod était profond comme l'eau Nagaïn;
Son arc avait été fait par Tubalcaïn
Et douze jougs de boeuf l'eussent pu tendre à peine;
Il entendait marcher la fourmi dans la plaine;
Chacune de ses mains, affreux poignets de fer,
Avait six doigts pareils à des gonds de l'enfer;
Ses cheveux se mêlaient aux nuages sublimes;
Son cor prodigieux qui sonnait sur les cimes
Etait fait d'une dent des antiques mammons,
Et ses flèches perçaient de part en part les monts.