Son glaive nu donnait le frisson à la terre.
Derrière ce glaive âpre, affreux, hideux, rouillé,
La Guerre, se dressant comme un pâtre éveillé,
Levait à l'horizon sa face de fantôme.
Et, tout tremblants, au fond des cités, sous le chaume,
Les hommes éperdus distinguaient dans la nuit,
Fronde en main, et soufflant dans des trompes épiques,
Cet effrayant berger du noir troupeau des piques.
Ce spectre était debout à droite de Nemrod.
Nemrod, foulant aux pieds la tiare et l'éphod,
Avait atteint, béni du scribe et de l'augure,
Le sommet sombre où l'homme en dieu se transfigure.
Il avait pour ministre un eunuque nommé
Zaïm, et vivait seul, dans sa tour enfermé.
L'eunuque lui montrait du doigt le mal à faire.
Et Nemrod regardait comme l'aigle en son aire;
Ses yeux fixes faisaient hurler le léopard.
Quand on disait son nom sur terre quelque part,
La momie ouvrait l'oeil dans la grande syringe,
Et les peuples velus à la face de singe
Qui vivent dans des trous à la surface du Nil
Tremblaient comme des chiens qui rentrent au chenil.
Les bêtes ne savaient s'il était homme ou bête.
Les hommes sous Nemrod comme sous la tempête
Se courbaient; il était l'effroi, la mort, l'affront;
Il avait le baiser de l'horreur sur le front;
Les prêtres lui disaient : O Roi, Dieu vous admire!
Ur lui brûlait l'encens, Tyr lui portait la myrrhe.
Autour du conquérant le jour était obscur.
Il en avait noirci des deux côtés l'azur;
A l'orient montait une sombre fumée
De cent villes brûlant dans la plaine enflammée;
Au couchant, plein de mort, d'ossements, de tombeaux,
S'abattait un essaim immense de corbeaux;
Et Nemrod contemplait, roi de l'horreur profonde,
Ces deux nuages noirs qu'il faisait sur le monde,
Et les montrait, disant : Nations, venez voir
Mon ombre en même temps sur l'aube et sur le soir.