PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Et dans le même bois et de l'autre côté

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) Et dans le même bois et de l'autre côté  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Et dans le même bois et de l'autre côté    Victor HUGO (1802-1885) Et dans le même bois et de l'autre côté  Icon_minitimeJeu 29 Sep - 21:56

Et dans le même bois et de l'autre côté
Un lépreux s'écriait:

Nature! immensité!
Etoiles! profondeurs! fleurs qu'en tremblant je nomme,
Ne maudissez pas que moi! soyez bonnes pour l'homme!
O Dieu, quand je suis né, vous ne regardiez pas.
La lèpre, rat hideux de la cave trépas,
Me ronge, et j'ai la chair toute déchiquetée.
Je suis la créature immonde et redoutée.
La terre ne m'a pris que pour me rejeter.
Les buissons ont pitié de me voir végéter;
Ce qu'ils ont en bourgeons sur moi croît en pustules.
Ma peau, quand je suis nu, fait peur aux tarentules.
De loin, au chevrier, au pâtre, au laboureur,
J'apparais, spectre, avec le masque de l'horreur.
La lèpre erre sur moi comme un lierre sur l'orme.
La sève qui, gonflant tout de son flot énorme,
Emplit de lionceaux les antres, les doux nids
De soupirs, de rameaux les arbres rajeunis,
La rose de parfums et l'espace de mondes,
Me fait manger vivant par des bêtes immondes!
Je suis le souffle peste et le toucher poison;
Je suis dans une plaie un esprit en prison,
Ame qui pleure au fond d'une fange qui saigne,
Je suis ce que le pied foule, écrase et dédaigne,
L'ordure, le rebut, le crapaud du chemin,
Le crachat de la vie au front du genre humain.
Je me tords, enviant la beauté des chenilles.
Mon reflet rend la source horrible; mes guenilles
Montrent ma chair, ma chair montre mes os; je suis
L'abjection du jour, l'infection des nuits.
Ainsi qu'un fruit pourri, la vie est dans ma bouche.
J'ai beau me retourner sur la cendre où je couche,
Je ressemble au remords qui ne peut pas dormir.
Quand je sors, ma maison a l'air de me vomir;
Quand je rentre, je sens me résister ma porte.
Seigneur! Seigneur! je suis importun au cloporte,
Le chien me fuit, l'oiseau craint mon front qui pâlit,
Et le porc monstrueux regarde mal mon lit.
Sous le ciel profond et bleu, mon âme est seule.
Ma bouche n'ose pas même baiser la gueule.
L'antre en me voyant gronde et devient soucieux.
Chaque jour rayonnant qui passe sous les cieux
Est un bourreau qui vient me traîner dans la claie.
Le tesson du bourbier, dont j'ai raclé ma plaie,
Va s'en plaindre à la fange et dit : il m'a sali.
Tout est votre pensée et je suis votre oubli,
Seigneur; le mal me tient sous sa griffe cruelle.
Des enfants en riant m'ont cassé mon écuelle;
Je n'ai plus que ma main lépreuse pour puiser
L'eau dans le creux du roc où l'air vient la verser,
De sorte qu'à présent je bois dans mon ulcère.
Seigneur! Seigneur! je suis dans le cachot misère.
La création voit ma face et dit : dehors!
La ville des vivants me repousse, et les morts
Ne veulent pas de moi, dégoût des catacombes.
Le ver des lèpres fait horreur au ver des tombes.
Dieu! je ne suis pas mort et ne suis pas vivant.
Je suis l'ombre qui souffre, et les hommes trouvant
Que pour l'être qui pleure et qui rampe et se traîne,
C'était trop peu du chancre, ont ajouté la haine.
Leur foule, ô Dieu, qui rit et qui chante, en passant
Me lapide saignant, expirant, innocent;
Ils vont marchant sur moi comme sur de la terre;
Je n'ai pas une plaie où ne tombe une pierre.
Eh bien! je suis content, Dieu, si je souffre seul!
Eh bien! je tire à moi tous les plis du linceul
Pour qu'il n'en flotte rien sur la tête des autres!
Eh bien! je ne sais pas quelles lois sont les vôtres,
Mais, dans mon anathème et mon accablement,
Je le dis, puisse, ô Dieu du profond firmament,
Du fond de ma nuit noire, en ce monde où nous sommes,
Mon malheur rayonner en bonheur sur les hommes!
Qu'ils vivent dans la joie et l'oubli, jamais las!
Ce qu'il vous doit, ô Dieu, l'homme l'ignore hélas!
Oh! que je sois celui qui pleure et qui rachète!
Laissez-moi vous payer leur rançon en cachette,
Dieu bon, par qui Noë connut le raisin mûr!
Femmes qui, si ma tête ose passer mon mur,
Si je tâche en passant de voir votre lumière,
Frémissantes, crachez sur ma pauvre chaumière,
Et qui vous enfuyez avec des cris d'effroi,
Que Dieu vous donne, hélas! L'amour qu'il m'ôte à moi!
Je vous bénis. Chantez dans cette vie amère.
Petit enfant qui tiens la robe de ta mère,
Et qui, si tu me vois songeant sous l'infini,
Dis : Mère, quel est donc ce monstre? sois béni.
Vous hommes, qui riez des pleurs de mes paupières,
O mes frères lointains qui me jetez des pierres,
Soyez bénis! bénis sur terre et dans les cieux!
Pères, dans vos enfants, et, fils, dans vos aïeux!
Car, puisque l'eau veut bien que ma lèvre la touche,
La bénédiction doit sortir de ma bouche,
Puisque mon bras peut prendre un fruit dans le chemin,
La bénédiction doit tomber de ma main,
Et, Ciel, puisque mon oeil voit ta face éternelle,
La bénédiction doit emplir ma prunelle!
Oui, j'ai le droit d'aimer! J'ai le droit de pencher
Mon coeur sur l'homme, l'arbre et l'onde et le rocher;
J'ai le droit de sacrer la terre vénérable
Etant le plus abject et le plus misérable!
Je dois bénir le plus étant le plus maudit.
Donc, terre, monts sacrés dont Adam descendit,
Fleuves, je vous bénis, et je vous bénis, plaines;
Vous tous, êtres! oiseaux, moutons aux blondes laines,
Fourmis des bois, pasteurs dans vos tentes de crin,
Toi, mer, qui resplendis comme un liquide airain,
Bêtes qui ressemblez à des branches horribles,
Fleurs dont les parfums sont des rayons invisibles,
Ciel qui nous dis tout bas dans l'ombre : je suis près;
Nocturnes profondeurs des muettes forêts,
Sources qui répandez vos murmures dans l'herbe,
Joncs frémissants qu'émeut le souffle, né du verbe,
Boeuf qui mugis, lion qui vas, chevreau qui pais,
Soyez dans la lumière et soyez dans la paix!
Moi je dois me cacher, l'homme n'est pas mon hôte;
J'ai la nuit. Pourquoi suis-je horrible? C'est ma faute.
Pardonnez-moi! pardon, ô femme! pardon, fleur!
Pardon, jour! - entrouvrant ses lèvres de douleur,
Mon ulcère, ô vivants, tâche de vous sourire.
Oui, vous avez bien fait, frères, de me proscrire
Puisque je souffrais tant que je vous faisais peur.
C'est de l'amour qui sort quand vous broyez mon coeur.
Le lépreux y consent, vivez, homme et nature!
Dans le ciel radieux je jette ma torture,
Ma nuit, ma soif, ma fièvre et mes os chassieux,
Et le pus de ma plaie et les pleurs de mes yeux,
Je les sème au sillon des splendeurs infinies,
Et sortez de mes maux, biens, vertus, harmonies!
Répands-toi sur la vie et la création,
Sur l'homme et sur l'enfant, lèpre! et deviens rayon!
Sur mes frères que l'ombre aveugle de ses voiles,
Pustules, ouvrez-vous et semez les étoiles!
O Dieu! dont ici-bas tout n'est que la vapeur,
O Dieu, rayonnement qu'adore ma stupeur,
O Dieu, qui portez l'astre et tenez le tonnerre,
Clarté que l'aigle montre aux aiglons dans son aire,
Ame! abîme! écoutez la prière du ver!
Faites devant l'été décroître l'âpre hiver,
La triste nuit devant l'aurore, les misères
Devant l'homme, les maux devant le bien, les serres
Devant le doux oiseau, les loups devant le daim!
Ramenez par la main le couple dans Eden.
Réconciliez l'être, ô père, avec les choses.
Arrachez doucement les épines des roses.
Faites que la brebis admire le lion.
Supprimez le combat, le choc, le talion;
Soufflez sur les fureurs et les horreurs humaines,
Et faites une fleur avec toutes ces haines!
Versez sur tous leurs fronts la sereine beauté.
O songeur de l'obscure et calme éternité,
Etre mystérieux dont les sphères débordent,
Dieu! faites se baiser les bouches qui se mordent;
Emplissez de bonheur les rameaux verts, mettez
La femme dans la grâce et l'homme à ses côtés;
Faites mûrir le fruit; faites lâcher la proie;
Faites des berceaux blancs sortir un bruit de joie,
Croître le lys, fleurir l'arbre, rire le jour,
Et sous l'immense azur chanter l'immense amour!


Et les astres voyaient dans les splendeurs profondes,
Pendant que, bénissant l'homme, les plaines blondes,
Les grands fleuves, les bois, les monts silencieux,
S'ouvrait et se dressait lentement vers les cieux,
La main du lépreux, noire, affreuse, triste et frêle,
La main de Jéhovah se lever derrière elle.
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Victor HUGO (1802-1885) Et dans le même bois et de l'autre côté
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