Les plus mornes cachots ont une claire-voie;
Au fond de l'oubliette, au fond du cabanon,
Quelque chose encor semble exister; ici, non.
Satan vers Jéhovah se tourne, las d'abîme.
Oh! l'unique assassin et l'unique victime,
C'est moi. J'ai pour tourment le mal que mes mains font
Les autres êtres sont, puis ne sont plus, ils vont
Puis s'arrêtent, un bruit, puis rien; je les envie.
Les autres sont morts; - moi, je suis veuf de la vie.
L'effroyable vivant du sépulcre, c'est moi.
Oui, le supplicié râle et rugit; la loi
Le tient dans ses poignets de bronze qu'on redoute,
Le tue à petit feu, l'égorge goutte à goutte,
Et s'interrompt parfois pour qu'il meure longtemps.
Ses pieds fument, sa chair pétille, et par instants
Flambe, et l'on voit sortir du ventre ses entrailles;
Il hurle; l'huile bout dans la cuve; tenailles,
Plomb fondu, roue, horreur; Par degrés cependant,
Malgré le vil bourreau de plus en plus ardent,
Sur l'homme évanoui la torture s'émousse;
La sinistre agonie arrive, affreuse et douce;
Le tourment vaincu semble à la surface errer;
Le misérable sent, au moment d'expirer,
Comme un éloignement ténébreux du supplice.
Entre ses cils brûlés un rayon pâle glisse,
C'est la mort, c'est le ciel, c'est l'infini profond;
Il y tombe, il y flotte, il lui semble qu'il fond;
Ses yeux tout grands ouverts se fixent sur du vide;
Il est mort. - Oh; cela, gouffres, j'en suis avide,
Je l'implore, et je crie : A mon secours, bourreaux;
La roue aux mille dents, les chevalets, les crocs,
L'attention du juge affreux, lent et barbare,
Les pinces, les crampons rougis, les coups de barre,
L'huile ardente rongeant la cuve de granit,
Le fer, le feu, c'est bon, c'est doux, cela finit.