PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux   Victor HUGO (1802-1885) Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux Icon_minitimeJeu 29 Sep 2011 - 22:55

Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux,
Et rien ne troubla plus l'immobilité morte.

Comme le goëmon que le flot berce et porte,
Satan dormait toujours.

Dans la nappe de nuit
Où s'enfonçait son corps de chimère construit,
Ce qu'on entrevoyait, c'était sa forme humaine.

Semblable au flocon blanc qu'un vent dans l'ombre amène,
L'ange arrêta sur lui ses ailes qui flottaient,
Et pleura.

L'on eût dit que ses larmes étaient
De la lumière en pleurs coulant de deux étoiles.
Comme la tarentule au centre de ses toiles,
Le vaste malheureux et le vaste méchant
Palpitait; et la vierge immortelle, penchant
L'escarboucle allumée au sommet de sa tète,
Tendit les bras vers l'ange englouti dans la bête,
Et lui parla, planant et pourtant à genoux;
Et l'accent de sa voix divine était plus doux
Que l'incarnation vague et sombre des sphères.

« O toi; je viens. je pleure. Ici, dans les misères,
« Dans le deuil, dans l'enfer où l'astre se perdit,
« Je viens te demander une grâce, ô maudit!
« Ici, je ne suis plus qu'une larme qui brille.
« Ce qui survit de toi, c'est moi. Je suis ta fille.
« Sens-tu que je suis là? Me reconnais-tu, dis?
« M'entends-tu? C'est du fond des divins paradis,
« C'est de la profondeur lumineuse et sacrée,
« C'est de ce grand ciel clair où vit celui qui crée,
« Que je viens, éperdue, à toi, l'ange enfoui!
« J'ai crié vers Dieu; Dieu formidable a dit Oui;
« Il me laisse descendre au fond des nuits difformes,
« Et, pour que je te parle, il permet que tu dormes.
« Car, Père, pour tes yeux, hélas, le firmament
« Ne peut plus s'entr'ouvrir qu'en songe seulement!
« Oh! toute cette nuit, c'est affreux! Père, Père!
« Quoi! toi dans ce cachot! Quoi! toi dans ce repaire!
« Toi puni; toi mauvais! toi, l'aîné des élus!
« Te voilà donc si bas que Dieu ne te voit plus!,
« L'enfer! l'océan Nuit! Pas de flot, pas d'écume,
« Pas de souffle. Partout le Noir. C'est, dans la brume,
« Ta respiration lugubre que j'entends.
« La longueur de ton deuil dépassera le temps;
« Le chiffre de tes maux dépassera le nombre.
« Les soleils me disaient : prends garde, il est dans l'ombre!
« Et moi j'ai dit : je veux voir le désespéré.
« Hélas, l'astre du ciel te hait, la fleur du pré
« Te craint, autour de toi tous les êtres ensemble
« Frémissent, les clartés frissonnent, l'azur tremble,
« L'infini te redoute et t'abhorre : Eh bien, moi,
« Je t'apporte en amour tout cet immense effroi!

« Je viens te prier, toi qu'on proscrit. Toi qu'on souille,
« Je viens avec des pleurs te laver. J'agenouille
« La lumière devant ton horreur, et l'espoir
« Devant les coups de foudre empreints sur ton front noir;
« Entends-moi dans ton rêve à travers l'anathème.
« Ne te courrouce point, père, puisque je t'aime!
« Le blessé ne hait pas la main qui le soutient;
« L'affamé n'a jamais maudit celui qui vient
« Disant : Voici du pain et de l'eau. Bois et mange.

« Oh! quand j'étais mêlée à tes ailes, quel ange
« Que Satan, dans l'aurore et dans l'immensité!
« Dieu se nommant Bonté, tu t'appelais Beauté.
« Ta chevelure était blonde et surnaturelle,
« Et frissonnait splendide, et laissait derrière elle
« Une inondation de rayons dans la nuit!
« L'abîme était par toi comme par Dieu conduit.
« Un jour les éléments te prirent pour Lui-même;
« Comme tu te dressais avec ton diadème
« Sur le ciel, de ton lustre effrayant envahi,
« L'air dit: Emmanuel; et l'onde : Adonaï;
« Ton char faisait jaillir des mondes sous sa roue.
« Près de toi, Raphaël, Gabriel, qui secoue
« Un météore épars en flammes sur son front,
« Michel, dont la clarté jamais ne s'interrompt,
« Ithuriel, qui mêle aux rayons les dictames,
« Stellial, Azraël, porte-flambeau des âmes,
« N'étaient plus que l'essaim confus de la forêt;
« Un resplendissement de blancheur t'entourait;
« Et l'aube en te voyant s'écriait : je suis noire;
« Tu passais au milieu d'un ouragan de gloire;
« Les éthers t'attendaient pour devenir azurs;
« Les univers naissaient, prodigieux et purs,
« Avec des millions de fleurs et d'étincelles,
« Dans un rythme marqué par tes battements d'ailes;
« Tu faisais, en fixant sur eux ton oeil charmant,
« Reculer les soleils dans l'éblouissement;
« Tu flamboyais, candeur et force; un lys archange!
« Comme après le héros s'avance la phalange,
« A ta suite marchaient les constellations;
« L'ombre pleurait d'amour quand nous la traversions;
« La nuit, tu te levais dans un triomphe d'astres;
« Et les dômes divins et les sacrés pilastres,
« Et les éternels cieux et l'éden nouveau-né,
« T'adoraient dans ta joie immense, infortuné!

« Hélas, dès qu'en ce bagne, où nul regard ne plonge,
« Tu fus précipité, Satan, tu fis ce songe
« De te venger, démon géant, sur l'infini!
« Prés de l'ange proscrit tu mis l'homme banni;
« Tu fis tomber Adam et tu fis déchoir Eve;
« Tu voulus frapper Dieu dans le germe et la sève,
« Dans l'enfant, dans le nid des bois, dans l'alcyon;
« Seul, à jamais muré sous la création,
« Tu devins, dans l'horreur, le grand rêveur funeste;
« Dans les vierges forêts tu fis sortir la peste
« De l'épaisseur charmante et terrible des fleurs;
« Avec les voluptés tu forgeas les douleurs;
« Tu te mêlas à l'être auguste qui gouverne;
« L'espace se remplit d'un esprit de caverne;
« Tu dis à l'Eternel: à nous deux maintenant!
« Tu souillas l'infini rien qu'en l'espionnant.
« A travers l'océan tu soufflas le naufrage;
« Captif, tu pénétras la terre de ta rage;
« Le dessous ténébreux de la vie appartint
« A ta vengeance, et fut par ton haleine atteint;
« Tu mordis les tombeaux; tu mordis les racines;
« Tu mêlas aux parfums les herbes assassines;
« Tu mis partout le monstre à côté de la loi;
« Une émanation de nuit sortit de toi,
« Et tu déshonoras l'univers magnanime.
« Dieu rayonnait le bien, tu rayonnas le crime.
« Tu fis d'en bas, avec tes miasmes, des démons;
« Tu pris les instincts vils et les impurs limons
« Et tu créas avec cette fange les traîtres,
« Les lâches, les cruels; et tu fis dieux et maîtres
« Des êtres de l'abîme et des esprits forçats;
« Tu poussas les Nemrods aux guerres, tu dressas
« Les Caïphes sanglants contre les Christs sublimes;
« Et souvent là-haut, nous, les anges, nous pâlîmes
« D'entendre dans le deuil les prêtres et les rois
« Rire, et de voir grandir le glaive énorme en croix.

« A quoi cela t'a-t-il servi? plus de misère;
« Voilà tout. Ton éclair ronge et brûle ta serre;
« Ton empoisonnement du monde a commencé
« Par toi-même, ô géant d'un combat insensé.
« Le mal ne fait pas peur à Dieu; Dieu se courrouce,
« Et frappe. Tu croyais que la vengeance est douce;
« Elle est amère. Hélas! le crime est châtiment.
« La croissance du mal augmente ton tourment;
« Le mal qu'on fait souffrir s'ajoute au mal qu'on souffre;
« Ta lave au fond des nuits sur toi retombe en soufre;
« Et toi-même on t'entend par moments l'avouer.
« Le supplice de Tout sur toi vient échouer.
« Tu fais tout chanceler, tout trembler sur sa base,
« Tout crouler, et c'est toi que ton effort écrase;
« La Terre est sous ton joug, tu règnes à présent.
« Et te voilà sous plus d'épouvante gisant;
« Te voilà plus difforme, et ton coeur d'airain saigne!

« Mais, Satan, il faut bien qu'à la fin on te plaigne,
« Tu dois avoir besoin de voir quelqu'un pleurer,
« Je viens à toi!

Je viens gémir, luire, éclairer,
« T'ôter du moins le poids de la terrestre chaîne,
« Et guérir à ton flanc la sombre plaie humaine.
« Mon père, écoute-moi. Pour baume et pour calmant,
« Pour mêler quelque joie à ton accablement,
« Tu n'as jusqu'à cette heure, en ton âpre géhenne,
« Essayé que la nuit, la vengeance et la haine.
« O Titan misérable, essaye enfin le jour!
« Laisse planer le cygne à ta place, ô vautour!
« Laisse un ange sorti de tes ailes répandre
« Sur les fléaux un souffle irrésistible et tendre.
« Faisons lever Caïn accroupi sur Abel.
« Assez d'ombre et de crime! Empêchons que Babel
« Pousse encor plus avant ses hideuses spirales.
« Oh! laisse-moi rouvrir les portes sépulcrales
« Que, du fond de l'enfer, sur l'âme tu fermais!
« Laisse-moi mettre l'homme en liberté. Permets
« Que je tende la main à l'univers qui sombre.
« Laisse-moi renverser la montagne de l'ombre;
« Laisse-moi foudroyer l'infâme tour du mal!

« Permets que, grâce à moi, dans l'azur baptismal
« Le monde rentre, afin que l'Eden reparaisse!
« Hélas! Sens-tu mon coeur tremblant qui te caresse?
« M'entends-tu sangloter dans ton cachot? Consens
« Que je sauve les bons, les purs, les innocents;
« Laisse s'envoler l'âme et finir la souffrance.
« Dieu me fit Liberté; toi, fais-moi Délivrance!
« Oh! ne me défends pas de jeter dans les cieux
« Et les enfers, le cri de l'amour factieux;
« Laisse-moi prodiguer à la terrestre sphère
« L'air vaste, le ciel bleu, l'espoir sans borne, et faire
« Sortir du front de l'homme un rayon d'infini.
« Laisse-moi sauver tout, moi ton côté béni!
« Consens! Oh! moi qui viens de toi, permets que j'aille
« Chez ces vivants, afin d'achever là bataille
« Entre leur ignorance, hélas, et leur raison,
« Pour mettre une rougeur sacrée à l'horizon,
« Pour que l'affreux passé dans les ténèbres roule,
« Pour que la terre tremble et que la prison croule,
« Pour que l'éruption se fasse, et pour qu'enfin
« L'homme voie, au-dessus des douleurs, de la faim,
« De la guerre, des rois, des dieux, de la démence,
« Le volcan de la joie enfler sa lave immense!
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Victor HUGO (1802-1885) Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux
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