Souffrance, es-tu la loi du monde?
L'homme vient triste et s'en 'va nu;
Il naît débile et meurt immonde.;
Es-tu le' fond de' l'inconnu?
Les grêles, les foudres, les trombes;
Les marteaux meurtrissant les clous;
Le grain dans le bec des colombes,
L'agneau dans la gueule des loups;
Le tigre ayant l'horreur secrète
De sa propre férocité;
Le lion, fauve anachorète
Qui hurle dans l'immensité;
L'enfant qui meurt, âme' qui sombre;
Le lys qu'on fauche, à peine éclos;
Les marins qu'engloutit dans l'ombre
La bave sinistre des flots;
Partout les embûches funèbres,
Le glaive, la griffe, la dent;
Des yeux fixés dans ,les ténèbres;
Le crime guettant et' rôdant
L'abeille que chasse la guêpe;
La guerre battant du tambour;
Un. horizon voilé d'un crêpe,
Où croît l'ombre, où décroît l'amour;
Les discordes qui se répandent;
Caïn, Nemrod, Néron, Macbeth;
Tous les coeurs des hommes qui pendent
A la haine, ce grand gibet;
Le doute qui sort de la tombe,
Et, du haut du ciel sans clarté,
Semble un soir éternel gui tombe
Sur la lugubre humamte;
Toutes ces douleurs, est-ce l'ordre?
L'air du sépulcre emplit les cieux,
Et sur l'abîme on voit se tordre,
La nuit, des bras mystérieux.
Et toutes ces choses farouches
Disent cette plainte à la fois,
Et de toutes ces sombres bouches
On entend sortir cette voix:
-Dieu! qu'a donc fait la créature,
Et pourquoi l'être est-il puni? -
C'est le grand cri de la nature
Dans le grand deuil de l'infini.
27 juillet 1854.