Pour nous, nouveaux venus, qui voyons l'astre éclore,
Fils d'une époque où tout a des lueurs d'aurore,
Pour nous, gens d'aujourd'hui, qui sortons du brouillard,
Qui n'échafaudons point pêle-mêle dans l'art
Près d'un spectre de bronze une poupée en cire,
Tancrède près d'Oreste et près d'Electre Alzire,
Et né confondons point l'antique avec le vieux,
Le ciel où Boiléaù plane est un ciel pluvieux;
La muse'à lui baiser la bouche nous convie;
Nous nous sentons, devant le grand siècle, une envie
Parricide, d'en être un peu les ravageurs,
Et dé dire: Aristote, hé! nous sommes majeurs.
L'art n'est plus le salon de Madame dù Maine,
Une odeur de moisi sort du bon Théramène,
La tragédie est froide et sent le renfermé.
Oui, pour quiconque a vu, marché, souffert, aimé,
Les règles d'autrefois sont une cave humide;
Tout, même le génie, y baisse un front timide,
Et Calliope y tousse; et dans l'ombre on peut voir
Voler en clignotant sous ce grand plafond noir
Une chauve-souris qu'on nomme l'âme humaine.
De l'air! de l'air! qu'au vrai l'idéal nous ramène!
Quand Racine blêmi n'est plus que Campistron,
Quand l'art languit, avec Brossette pour patron,
Honteux d'être sous clef quand l'aigle est dans la nue,
C'est l'honnête devoir de toute âme ingénue
D'entrer là, de tirer largement les rideaux,
D'épousseter sonnets, idylles et rondeaux,
Dût-on à leurs vieux vers faire des déchirures,
D'être désagréable aux verrous, aux serrures,
Aux volets, barricade aveugle du logis,
D'assainir les recoins brusquement élargis,
Et d'ouvrir à grand bruit la fenêtre, indignée
D'avoir chassé l'aurore et logé l'araignée.
15 novembre 1854.