À PROPOS D'UNE GRILLE DE BON GOÛT
Le bon goût, c'est une grille.
Gare à ce vieux bon goût-là!
De tout temps, sous son étrille,
Pan, le bouc sacré, bêla.
Le goût classe, isole, trie,.
Et, dé crainte des ébats,
Met de la serrurerie
Autour de tout, ici-bas.
Il cloître, et dit: j'émancipe:
Il coupe, et dit: j'ai créé.
Être sobre est son principe,
Des malades agréé. ,
Il est cousin de l'envie.
Il est membre des sénats.
Il donne au coeur, à la vie,
La forme d'un cadenas.
Sur un Pinde jaune d'ocre,
A mi-côte, en l'art petit,
Il satisfait, médiocre,
Son absence d'appétit.
Devant le grand il recule.
Soit! ce n'est point sans dégâts
Qu'on est touché par Hercule
Ou pris par Micromégas.
Contre toutes les. folies,
Les chefs-d'oeuvre, les rayons
Et les femmes trop jolies,
Il prend ses précautions:
Pour lui, l'idéal, le style,
L'homme, les bois, 'les oiseaux,
Ont pour but de rendre utile
Une paire de ciseaux.
Il fait les âmes jésuites,
Il fait les esprits pédants,
Et, tranquille sur les suites,
Dit: Prenez le mors aux dents!
Cul-de-jatte, sois lyrique!
Lièvre, deviens effréné!
Couvre-toi de roses, trique!
Macette, sois Evadné!
Taupe, allume le tonnerre.
Dompte, oison, les flots marins.
Ça, porte-moi, poitrinaire,
Deux cents kilos sur tes reins.
Crétin, lâche ton génie.
Glaçon, tâche d'avoir chaud.
Étreins ferme Polymnie
Entre tes deux bras, manchot.
S'abrutir est le précepte
Le plus clair du rituel.
C'est à force d'être inepte
Qu'on devient spirituel.
C'est là tout l'Art Poétique.
Galoper très bien, beaucoup,
Avec ce point pleurétique
Qu'on appelle le bon goût.
Le goût nous donne licence,
Fais tout ce que tu voudras.
Avec cette réticence
Que nous serons des castrats.
L'effet de son beau désordre
Rate, si nous oublions
Qu'une défense de mordre
Est intimée aux lions.
Définitions: Mesdames
Et messieurs, l'ancien bon goût,
C'est l'âne ayant charge d'âmes,
C'est Rien, grand-prêtre de Tout.
C'est bête sans être fauve,
C'est prêcher sans enseigner,
C'est Phoebus devenu chauve,
Qui tâche de se peigner.
L'échevelé l'exaspère.
Que lui veut cette toison
Désagréable et prospère
Du grand art, jeune à foison?
Le goût, tondu; n'aime aucune
Chevelure en liberté.
Car un crâne a la rancune
D'un amoureux déserté.
Crânes nus, hommes sans flammes,
Souffrent, et sont indignés.
De ces cheveux, de ces femmes
Qui les ont abandonnés.