J'ai mené parfois dure vie,
Proscrit, errant de lieux en lieux,
Triste et jétant un oeil d'envie
Au sépulcre mystérieux. -
J'ai fait à pied de longues routes;
Marchant la nuit, craignant les voix,
Plus rempli d'ombres et de doutes
Que la bête fauve des bois.
Ô vaincus des luttes civiles,
Malheur à vous! rien ne vous sert.
J'ai le soir traversé des villes
Comme on traverse le désert.
Seul, comptant mon chétif pécule,
Loin de tous mes amis absents,
Je regardais, au crépuscule,
Aller et venir les passants.
L'eau des chemins mouillait mes guêtres.
Las, je tombais sur de vieux bancs.
Je regardais par les fenêtres
La gaîté des âtres flambants.
J'entendais rire sous le chaume
Les paysans à leur repas;
Un étranger est un fantôme;
Les murs ne le connaissent pas.
Comme Tullius fuyant Rome,
J'allais, ignorant où j'étais,
Accueilli par ceux que je nomme,
Repoussé par ceux que je tais.
La bise sifflait sur ma tête.
Je fuyais sans. savoir comment,
Enveloppé de la tempête
.Comme d'un sombre vêtement;
En guerre avec l'ombre où nous sommes,
Avec l'onde et le vent marin,
Avec le ciel, avec les hommes,
En paix avec mon coeur serein!
Mon âme ouvrait ses yeux funèbres;
Tout était noir, plus de ciel bleu;
Mais je voyais dans ces ténèbres
La lointaine blancheur de Dieu.
Je me disais dans ma souffrance:
-Pleurer est bon, mourir est beau.
Car la porte de l'espérance
S'ouvre avec la clef du tombeau.
Autour de moi, troupes ailées,
Les strophes dont l'essaim me suit.
Tourbillonnaient échevelées
Dans les souffles noirs. de la nuit.
J'étais sûr, à travers mes peines,
-.Que j'étais un juste aux abois,
Et quelles-rochers et les chênes
Ne pouvaient point haïr ma voix.
Je parlais -aux astres de flamme;
Se taire ne sied qu'au maudit;.
,..Et je faisais chanter mon âme
Pour que la nature entendît.
Je-ne sais pas quelles réponses ,
Les vents faisaient à mes chansons.
J'ai mangé les mûres des ronces
Et j'ai dormi sous les buissons.
14 octobre.1853. Jersey.