Je vais dans la fureur du gouffre, dans l'écume,
Pâle, écoutant les mots
Que disent, pleins d'horreur, la sibylle dans Cume
Et l'apôtre à Pathmos.
Quand je passe en cette ombre, où, fuyant la tempête,
Nul encor n'a passé,
L'abîme est sous mes pieds, la foudre est sur ma tête,
On dit: C'est l'insensé!
Tandis que l'ouragan qui parfois semble rire,
Puis éclate en sanglots,
Joue avec les agrès comme avec une lyre,
Un chant noir sort des flots.
Et moi sur qui le deuil, la haine, la vieillesse,
L'onde et le vent trompeur,
S'acharnent, je poursuis mon chemin, et je laisse
Les autres avoir peur.
Pourtant vous ne pouvez empêcher que je songe,
Las du sort par moments,
Et de l'ombre que laisse aux âmes le mensonge
De tant d'événements.
Le destin m'a jeté de tempête en tempête,
De récif en récif;
Jamais mon coeur saignant n'a fait 'courber ma tête;
Mon courroux est pensif.
J'ai traversé les pleurs, les haines, les veuvages,
Ce qui mord, ce qui nuit.
Noir nocher, j'ai connu tous les âpres rivages
Du deuil et de la-nuit.
J'ai lutté; j'ai subi la sinistre merveille
Des abîmes mouvants;
Et jamais on ne vit dispersion pareille
D'une âme à tous les vents:
Je suis presque prophète et je suis presque apôtre;
Je dis: C'est bien! Allons!
Mais je ne voudrais pas de ce sort pour un autre,
O fauves aquilons!
H. H...13 août 1872.