CHANSON DE CELLE QUI N'A PAS PARLÉ
L'énigme ne dit pas son mot.
Les flèches d'or ont des piqûres
Dont on ne parle pas tout haut.
Souvent, sous les branches obscures,
Plus d'un tendre oiseau se perdit.
Vous m'avez souvent dit: je t'aime.!
Et je ne vous l'ai jamais dit.
Vous prodiguiez le cri suprême,
Je refusais l'aveu profond.
Le lac bleu sous la lune rêve
Et, muet, dans la nuit se fond;
L'eau se tait quand -l'astre se lève.
L'avez-vous donc trouvé mauvais?
En se taisant le coeur se creuse.
Et, quand vous étiez là, j'avais
Le doux tremblement d'être heureuse.
Vous parliez trop, moi pas assez.
L'amour commence par de l'ombre;
Les nids du grand jour sont blessés,
Les choses ont leur pudeur sombre.
Aujourd'hui -comme, au vent du soir,
L'arbre tristement se balance! -
Vous me quittez, n'ayant pu voir
Mon âme à travers mon silence.
Soit. Nous allons nous séparer.
- Oh! comme la forêt soupire! -
Demain qui me verra pleurer
Peut-être vous verra sourire.
Ce doux mot, qu'il faut effacer,
- Je t'aime -aujourd'hui me déchire;
Vous le disiez sans le penser,
Moi, je le pensais sans le dire.
26 septembre 1875.