Le lionceau songeait; il était tout petit,
Caché; muet, pareil au chat qui se blottit,
Loin du soleil, dans l'ombre où les rayons s'émoussent.
Combien faut-il de temps pour que ses ongles poussent?
Il songeait.
Laissez-moi vous dire qùe les rois,
Lugubres, font le mal; foulent aux pieds les dràits,
Les vérités, l'honneur, la vertu, la justice -
Ils font,venir le prêtre afin qu'on rebâtisse
L'enfer dans l'âme humaine où Dieu mit la raison;
Et leurs prospérités sont faites de façon
Que la gloire d'un peuple est la honte de l'autre;
Leur grandeur dans les tas d'immondices se vautre,
Leurs sceptres aux plaisirs obscènes sont mêlés,
La bauge aux pourceaux plaît à ces paons étoilés;
Hier, ils souffletaient lés nations meurtries;
Gais, ils jouaient aux dés les robes des patries;
A celui-ci le Nil, à celui-là le Rhin;
Quand.ils. ont sur leur front. mis leur cimier d'airain,
Rien ne peut modérer leurs fureurs, peu calmées
Par des chansons d'église et des. danses d'almées;
Ils ont on ne sait quel appétit monstrueux
D'être horribles; ils sont, les dragons tortueux,
Les hydres, les passants sinistres de l'histoire;
Ils ont pour-eux le deuil, l'échafaud, la victoire,
Tout ce qui rampe et tremble; et' les rires hautains;
La famine du peuple assiste à leurs festins;
L'aurore est.leur' palais, l'ombre' est leur forteresse,
Leur faux pouvoir devant l'éternel Dieu se dresse
Dans toute l'impudeur de sa rébellion;
ils,sont dorés, ils. sont fangeux.
.Grandis, lion!
9 octobre 1873. Paris.